Dans quelle mesure le pouvoir pastoral tel que M. Foucault le définit est-il à l'origine de l'État moderne ?

Résumé du document

Dans son cours au Collège de France de 1977-1978 paru sous l'intitulé Sécurité, territoire, population, M. Foucault expose sa théorie d'un pouvoir pastoral (ou pastorat) qu'il présente comme « prélude », « matrice », « point de formation, de cristallisation, le point embryonnaire de cette gouvernementalité dont l'entrée en politique marque, fin XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, le seuil de l'État moderne ».

On peut définir l'État comme une forme institutionnalisée de domination sur un territoire défini et une population donnée exercée à travers le gouvernement. Selon M. Foucault, il existe une multiplicité de rapports de pouvoir au sein d'un État, et le passage à l'État moderne, c'est-à-dire aspirant à un pouvoir rationnel, organisé, capable de maintenir l'ordre et la sécurité publics et de faire valoir sa souveraineté sur la scène internationale, est donc préformé par une forme pastorale du pouvoir, un gouvernement des hommes, tournée vers les individus inspirés du christianisme.

Ceci amène une réflexion sur les interrelations entre religion et techniques de gouvernement, et sur la manière dont le pouvoir pastoral modifie les rapports entre les individus et l'État.

Extraits

[...] La mise en place institutionnelle du pouvoir pastoral et son inscription dans l'Etat moderne A. Transfert de la figure du pasteur dans l'Etat La réflexion sur la gouvernementalité ne s'engage vraiment qu'au XVIe siècle d'après M. Foucault. Se met progressivement en place au cours des siècles suivants un nouveau mode de gouvernement fondé sur la rationalité de l'Etat, associant raison d'Etat[2] et théorie de la police[3], qui marque le triomphe du pastorat en politique. Jusque-là souveraineté et pastorat étaient séparés. [...]

[...] Bibliographie Michel Foucault, Dits et écrits, T.IV, Omnes et singulatim Editions Gallimard, Paris pp. 134-161. Philippe Büttgen, Théologie politique et pouvoir pastoral Annales. Histoire, Sciences Sociales 2007/5, 62e année, pp. 1129-1154 Gouvernementalité : mode de gouvernement. Raison d'Etat : principe de gouvernement rationnel (s'appuyant sur des considérations politiques autonomes) capable d'accroître la puissance de l'État. Police : forme moderne d'intervention de l'Etat sur les individus pour renforcer le pouvoir de l'Etat, tout en protégeant et en favorisant la vie, le bonheur de ces mêmes individus. [...]

[...] En conclusion, il existe un lien étroit entre religion dans son aspect pastoral et naissance de l'Etat moderne. Ce lien est à double sens puisque le pastorat a influencé l'évolution de la gouvernementalité puis ce nouvel Etat a su l'adapter à ses besoins. Mais cet ajustement entre pouvoir politique exercé sur des civils et pouvoir pastoral lié à des individus reste difficile comme le montre l'apparition de l'Etat providence : la tension entre le maintien de l'unité d'un Etat fort et la nécessité de veiller sur chacun est parfois dure à concilier. [...]

[...] Au Moyen-Age, si le pastorat ne s'institue pas encore en tant que gouvernement effectif des hommes, le pasteur reste distinct du pouvoir politique, il s'enrichit de manière à permettre son institutionnalisation future. Les révoltes vaudoise et nominaliste, puis la Réforme, attestent de l'ancrage du pouvoir pastoral dans les esprits. L'autorité papale est contestée mais les principes du pastorat perdurent conduisant à s'interroger sur les relations entre le pouvoir politique au sein de l'Etat et ce pouvoir pastoral qui veille sur la vie de tous et de chacun. II. [...]

[...] Selon eux, Dieu est le berger du peuple-troupeau sur lequel il exerce son autorité (et non sur une terre comme chez les Grecs) pour le rassembler et le guider. Son rôle est d'assurer le salut du peuple-troupeau à travers son pouvoir individuellement bienfaisant. Il est complètement dévoué au peuple tout entier tout en portant une attention individuelle à chaque membre du troupeau. Il faut toutefois bien noter que ce sont des métaphores du Dieu-berger et du peuple-troupeau, une forme de théologie. En aucun cas ce thème pastoral tel qu'il est développé par les Hébreux ne représente une théorisation d'une technique de pouvoir. [...]