Dans le siècle des génocides, une société civile émerge et prend conscience de la nécessité de la réconciliation pour éviter que l'histoire ne se répète. Parallèlement, le retour de l'idée de l'Etat de droit développe un système juridique supranational. De ces deux entités naissent deux armes au service de la réconciliation : la mémoire et la justice. Le processus de réconciliation n'est pas naturel, il doit être précédé d'une prise de conscience de la faute à pardonner et à faire pardonner de la part des criminels, des victimes, et de ceux qui ont cautionné le crime. Mais cette prise de conscience doit-elle être causée par l'intervention d'un tiers qui juge et punit ou par une réflexion qui crée une mémoire collective lourde de culpabilité ? La mémoire et le droit font partie du processus de réconciliation mais poussés à leur paroxysme, ils peuvent constituer des dérives. En réalité, la mémoire et la justice sont l'expression d'une volonté politique de susciter la réconciliation. Ce processus est amorcé à la fois grâce au souci de mémoire et grâce à la reconnaissance juridique du crime.
[...] Le processus de réconciliation est complexe. Il est permis grâce à la reconnaissance du crime par la justice et grâce à son inscription dans le temps avec le devoir de mémoire. Néanmoins ce processus n'est pas naturel et résulte d'une volonté. La mémoire est naturelle lorsqu'elle est propre au passif d'un individu, mais la mémoire collective est une création politique. Afin de créer une conscience commune, il y a le choix d'une interprétation de l'Histoire et de symboles pour les inculquer et imprégner la société d'une mémoire commune afin que ceux qui ont leur propre histoire de l'événement et ceux qui n'en ont pas puissent se réunir autour d'une conception commune. [...]
[...] Il s'agit d'intérioriser le pardon pour accepter la réconciliation. C'est une problématique qui relève du social et non du droit. Une injonction n'est pas comparable à une intime prise de conscience. Elle peut être considérée comme injuste et dans ce cas elle est inefficace car la réconciliation ne serait que superficielle et éphémère. La durabilité de la réconciliation dépend de sa sincérité et de son ancrage dans la conscience collective. Or la mémoire touche justement à ce qu'il y a de plus intime chez l'individu, tout en créant une identité collective unie par une mémoire créée en commun. [...]
[...] La mémoire joue ce rôle de rempart en s'inscrivant dans la durée, elle naît avec la réconciliation mais perdure une fois le processus achevé. Cependant c'est là un des risques majeurs du culte de la mémoire. La culpabilité peut devenir étouffante et perverse comme l'explique Todorov dans son essai Les Abus de la mémoire. La sacralisation de la mémoire peut se révéler dangereuse dans la mesure où elle oblige à se détourner du présent et du futur en restant obnubilée par le passé. [...]
[...] Un tiers risque de ne pas comprendre la complexité de la situation et surtout, la question de sa légitimité se pose. Or si sa légitimité n'est pas reconnue, les parties manqueront de confiance envers le verdict. Néanmoins on ne peut que reconnaître à la justice la clarté et l'autorité de sa décision. La justice identifie ce qu'elle considère comme un crime, ce qui apporte aux victimes le soutien de la reconnaissance. En outre, la justice trouve un responsable qui va décharger la culpabilité supportée par la majorité silencieuse. [...]
[...] Bibliographie Maryline Crivello-Bocca et alii, Concurrence des passés : usages politiques du passé dans la France contemporaine Alain Houziaux, La mémoire pour quoi faire ? Laurence Van Ypersele, Questions d'histoire contemporaine : conflits, mémoire et identité René Rémond, Quand l'Etat se mêle de l'histoire Emmanuel Terray, Face aux abus de mémoire Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D'un bon usage de la mémoire Thomas Ferenczi, Devoir de mémoire, droit à l'oubli ? [...]
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