Meilleure copie de culture générale au concours de l'ENA 2005
[...] Pour autant, il semble que cette érosion du mythe du grand homme traduise une défiance de l'esprit démocratique à son égard. Tout en ayant contribué à célébrer le culte des grands hommes, la tradition républicaine a été marquée par les dangers que fait peser le mythe de l'homme providentiel, qui finit par renverser (ou vouloir renverser) les institutions républicaines, qu'il s'agisse de Napoléon Bonaparte, du général Revanche Boulanger ou du Maréchal Pétain. Il est symptomatique de cette peur de la personnalisation du pouvoir que les parlementaires, en 1920 après avoir proclamé que Clemenceau avait bien mérité de la Patrie ne l'aient pas élu à la Présidence, en appliquant l'adage que Clemenceau lui-même avait formulé pour le choix du chef de l'Etat : prendre le plus bête La figure du grand homme est toujours suspecte de créer un unanimisme trompeur, et l'enthousiasme collectif peut traduire une aliénation des masses apolitiques. [...]
[...] LE GRAND HOMME OPERE UNE IDENTIFICATION ENTRE SA PERSONNE ET UNE MISSION HISTORIQUE FIGURE MODERNE AUTOUR DE LAQUELLE EST ORGANISE UN CULTE MEMORIEL, Figure issue de la modernité, le grand homme est l'objet de pratiques culturelles visant à affirmer une continuité historique. Dans sa fonction moderne, telle que l'a instituée le rôle du Panthéon dédié par la Convention, puis, après des péripéties, par la Troisième République, aux grands hommes, la création du grand homme marque une rupture avec l'Ancien Régime. Dans la société d'Ancien Régime, le Grand c'est, dans la monarchie espagnole, le membre de cette partie la plus ancienne et la plus prestigieuse de l'ordre nobiliaire. [...]
[...] Il y avait là une affirmation provocante, mais nette et sincère, d'un primat absolu accordé au sort individuel, et d'une indifférence radicale pour les entreprises collectives et la gloire. Il y aurait, dans cette manifestation d'un individualisme nihiliste, matière à alimenter une déploration pessimiste, volontiers marquée par le thème de la décadence, sur le déclin de l'altruisme ou de l'esprit de sacrifice, et l'éloge de la médiocrité, dans une société égoïste, égalitaire et privée de transcendance ou, autrement dit : une société où il n'y aurait plus de place pour les grands hommes. [...]
[...] La figure du grand homme met en cause la nature du lien social. Dans le système totalitaire, Hannah Arendt a montré que le culte de la personnalité qui fonde le totalitarisme était le produit de l'ère des masses c'est à dire d'individus désocialisés et dépolitisés. Une masse apolitique n'est qu'un signe d'échec de la démocratie, elle est une menace en ouvrant la voie à un homme providentiel qui saurait rassembler autour de sa personne. L'adhésion populaire à Louis-Napoléon Bonaparte est un exemple de ce consensus factice qui réunit des masses apolitisées, comme la paysannerie dont Marx écrit, dans le 18 brumaire de LouisNapoléon Bonaparte, qu'elle est comme des pommes de terre dans un sac, c'est à dire sans conscience politique. [...]
[...] Parce que le grand homme est un homme d'action, sa vie donne matière à théâtralisation, comme le montrent les drames romantiques que sont La mort de Danton de Büchner et la trilogie Wallenstein de Frëduch Schiller. Objet d'une dramatisation, la personne du grand homme se voit attribuer le rôle premier dans le cours historique. Pour Hegel (La raison dans l'histoire), le grand homme est la ruse de la raison pour laquelle l'histoire advient. Agent de l'histoire, le grand homme acquiert vite, par un glissement idéologique, une fonction d'homme providentiel, capable, par la vertu de ses propres qualités, de modifier le cours de l'histoire. [...]
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