Au printemps 1983, un habitant de la cité des Minguettes à Venissieux, Toumi Djaïdja est blessé par un policier alors qu'il cherche à s'interposer pour éviter un affrontement avec les jeunes du quartier. Quelques mois plus tard, avec le père Christian Delorme, un prêtre de la cité, il crée l'association SOS Avenir-Minguette qui décide d'organiser à partir d'octobre 1983 une marche pour protester contre les violences policières et améliorer l'image des jeunes issus de l'immigration dans l'opinion. Au départ de Marseille, le 15 octobre 1983, aucun média ne donne la moindre chance de succès à l'initiative de l'association. Pourtant à l'arrivée le 3 décembre 1983 à Paris, les marcheurs sont accueillis par 100 000 personnes et font la une de la presse écrite et des journaux télévisées. Plusieurs milliers d'articles de la presse locale et nationale, internationale, quotidienne et hebdomadaire, des centaines d'émissions de télévision et de radio seront consacrés à la « marche pour l'égalité et contre le racisme ». Comment expliquer ce retournement de situation et l'intérêt soudain des médias à l'égard de la marche ? Le succès médiatique s'explique-t-il seulement par le caractère fondateur de cette demande de reconnaissance pour la jeunesse de l'immigration et des quartiers populaires ? Ou existe-t-il d'autres conditions de possibilité d'un tel intérêt de la presse écrite ?
[...] Le jour de l'arrivée de la marche Libération fait presque toute sa une sur l'arrivée imminente des marcheurs et titre Paris sur Beur Enfin, les éditoriaux de Serge July sont très clairs sur la stratégie de Libération. Dans son premier éditorial sur la marche, il estime que le problème dit de l'immigration est aujourd'hui essentiellement culturel Il en appelle même à l'abandon du mot immigré au profit du mot beur L'initiative de Libération fait des émules dans les autres rédactions et le mot beur devient une désignation presque officielle des marcheurs, ce qui en dit long sur le circuit de l'information, sur ce qui fait événement dans les médias et sur la manière dont les différents titres s'influencent mutuellement. [...]
[...] Les marcheurs prennent aussi soin de terminer leur marche à Paris et non dans une ville de province, ce qui leur permet de satisfaire le parisianisme des élites françaises dont ils pourront obtenir la bénédiction (ce qui ne manquera pas d'arriver comme le montrent les réactions favorables de Serge July ou des dirigeants du Parti Socialistes). Conclusion Au terme de cette analyse, nous pouvons dire que le succès médiatique de la marche pour l'égalité et contre le racisme résulte de plusieurs occurrences. D'abord, elle arrive à un moment, les années 1980, où sont réunies les conditions de possibilité de son succès. C'est dans ces années que l'immigration accède à une visibilité nouvelle dans l'espace médiatique. [...]
[...] La marche pour l'égalité et contre le racisme favorisera ce repositionnement de la presse écrite en ce sens qu'elle va permettre aux journalistes de faire de l'immigration un enjeu d'actualité et non un enjeu d'information. La marche pour l'égalité va faire l'actualité dans la presse écrite et lui permettra d'augmenter son audience en s'appuyant sur l'industrie du spectacle pour produire ce qu'on appelle de l'infotainment un mélange d'information et de divertissement. De nombreux journaux exaltent le multiculturalisme et valorisent les identités ethniques au détriment des identités de classe qui prévalaient dans les années 1970. [...]
[...] L'accès des marcheurs à la visibilité publique dépend donc en partie des mutations qui ont parcouru, au cours de ces années le monde de la presse et la production d'actualité. Mais l'analyse des contenus de la presse écrite de l'époque montre aussi que les rédactions des journaux de gauche ont choisi de donner un sens particulier à cette marche qui était compatible avec la vision qu'ils entendaient donner de l'immigration. En ce sens, dire que la presse à fait la marche n'est donc pas un abus de langage. [...]
[...] Sans doute cela est-il vérifiable mais ce sont bien des journalistes qui ont qualifié toute une partie de la jeunesse issue de l'immigration qui luttait pour la reconnaissance de mouvement beur En ce sens, on peut dire que les journalistes ont fait les beurs, il y avait dans les titres des journaux une dimension performative qui prenait le dessus sur la dimension constatative. L'analyse des contenus de presse de l'année 1983 montre bien qu'on assiste à une invention des beurs par les médias. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture