D'après William Colby, directeur de la CIA entre 1973 et 1976, « l'Italie a été le plus grand laboratoire de manipulation politique clandestine. Un grand nombre d'opérations menées par la CIA se sont inspirées de l'expérience cumulée dans ce pays » (cf. ses mémoires Homme d'honneur. Mes années à la CIA). L'Italie constitue en effet un point clé dans le jeu géopolitique qui succéda à la Guerre Froide, mais notre étude se penchera plus spécifiquement sur l'enjeu que constitua et constitue encore de nous jours la Sicile avec sa spécificité mafieuse. Il s'agira aussi de comprendre pourquoi cette île est toute une « métaphore de l'Italie » d'après les mots de l'écrivain Leonardo Sciascia.
Nous devons remonter à quelques années après la Seconde Guerre Mondiale, lorsque la fondation du nouvel état italien – sous forme d'une république – eut un caractère particulier qui s'est maintenu à travers le temps : à côté de l'Etat de droit démocratique et parallèlement à celui-ci s'est constitué ce qu'on pourrait appeler un état dans l'ombre, clandestin, et dont l'objectif était celui d'éviter la montée au pouvoir de forces politiques affines aux intérêts populaires. Ceci allait d'ailleurs dans le même sens que les intérêts des forces conservatrices italiennes ainsi que de ceux de la nouvelle politique menée par les Etats-Unis.
[...] C'est un type de corruption politique redoutable qui met en danger les fondements et la légitimité du système démocratique, le principal outil pour finir avec elle étant une ferme volonté politique. Bibliographie - Caciagli, Mario: “¿Condenada a gobernar?. La Democracia Cristiana en el sistema político italiano”. Universitá degli Studi di Firence. Working Paper nº 41. Institut de Ciències Polítiques i Socials. Barcelona Disponible en http://www.icps.es - Catanzaro, Raimondo: A social history of the Sicilian mafia. [...]
[...] C'est ainsi qu'on peut commencer à comprendre la valeur du laboratoire que constituait la Sicile, d'autant plus que c'est sur cette île que la Mafia et son apprentissage de méthodes clandestines de plus en plus efficaces ont commencé. La mafia va d'ailleurs proportionner les réseaux de contacts, les hommes, les méthodes, les solidarités nécessaires, ainsi que son expérience dans tout ce qui consiste à agir dans l'ombre (cf. Giuseppe Carlo Marino). Elle devait tout de même se moderniser, ce qui passait d'abord par la conversion de ses membres en des nouveaux démocrates et, en conséquence, à se positionner en tant que bastions anticommunistes. [...]
[...] Casarrubea va qualifier cet épisode de “pêché originel” de l'Italie républicaine. Il s'agit du prologue et de la clé de tous les massacres et mystères ayant eu lieu entre le début de la République et la fin du pouvoir de la démocratie chrétienne lors des années 90. C'est aussi l'inauguration de la méthode du massacre comme forme de lutte politique, connue aussi comme la stratégie de la tension que nous aborderons plus tard. Elle commença en Sicile et continua avec les tueries de Piazza Fontana (le 12 septembre 1969 à Milan, tueries pour lesquelles on culpabilisera l'extrême- gauche), avec l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro, les attentats de Brescia et de Bologna, le double assassinat de Falcone et Borsellino En outre, l'historien Marino G.C coïncide sur le fait que la tuerie de Portella fut la matrice de tous les événements de criminalité politique postérieurs en Italie. [...]
[...] L'instabilité politique et l'agitation populaire touchent aussi les États- Unis, avec les protestes contre la guerre de Vietnam entre autres. Mais malgré cette ressemblance de conjonctures, la spécificité italienne due au lien très étroit entre le crime et le politique est exceptionnelle, la preuve la plus flagrante étant celle de l'assassinat politique de Moro, étudié en profondeur par Leonardo Sciascia dans son livre L'affaire Aldo Moro. L'écrivain va se mettre à la place de Moro et recueillir certaines de ses lettres envoyées après son enlèvement, où il fait preuve d'une grande capacité d'analyse de la situation dans laquelle il se trouve et de lucidité. [...]
[...] Dans ce contexte spécifique les assassinats de Portella de la Ginestra trouvent tout leur sens. Quant au contexte politique, un des événements clés pour comprendre cet épisode fut la défaite du MIS (mouvement indépendantiste sicilien) lors des élections pour l'Assemblée Constituante, et ceci face au triomphe des deux grands partis de masse, la Démocratie Chrétienne et la gauche (PCI et PSIUP, Parti Socialiste Italien de l'Unité Prolétaire). La défaite politique de l'opposition sécessionniste était donc un fait, et l'aristocratie s'étant penchée pour l'option indépendantiste fut consciente de sa fin en tant que classe hégémonique en Sicile. [...]
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