On peut reconnaître le génocide arménien sans pour autant approuver la récente proposition de loi récemment votée par l'Assemblée Nationale française. C'est ce que beaucoup semblent considérer tant les critiques ont fusées, qualifiant entre autres, de « contre-productive » ou contestant la légitimité de cette nouvelle loi visant à légiférer sur des faits historiques. Il s'agit donc de comprendre le contexte et l'arrière plan légal de la création de cette loi pour pouvoir ensuite analyser les implications théoriques d'un tel vote. Peut-on légiférer sur tout et est-il légitime de légiférer sur l'histoire ? (Qui plus est, histoire d'autres nations).
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Le texte voté le 12 octobre par 106 voix contre 19 (on le rappelle pour 577 députés !) prévoit pour celui niant l'existence du génocide arménien (entre 1915 et 1917), jusqu'à un an de prison et 45 000 euros d'amende. Ce texte de loi intervient après plusieurs autres tentatives, abouties ou non, de légiférer sur l'histoire. L'adoption en première lecture à l'Assemblée Nationale n'est qu'une étape dans le processus. Le texte doit maintenant passer devant la deuxième chambre, le Sénat et l'UMP pourrait s'opposer à son inscription à l'ordre du jour. Dans ce contexte, un certain nombre d'hommes politiques hostiles à l'initiative socialiste, y voient simplement une action symbolique destinée à essayer de séduire la communauté arménienne de France. Ce vote fut bien entendu applaudi par cette communauté (« Victoire pour la République, victoire pour la démocratie, cette loi annonce aussi un espoir de réconciliation. » déclare Armen Seropyan, Représentant de la nouvelle Génération arménienne dans un article du Figaro publié le 16 octobre 2006) et dénoncée violemment par la majorité de la société turque, qui ne reconnaît pas officiellement la qualification de génocide et l'étendue chiffrée des vies arméniennes perdues lors de la chute de l'Empire Ottoman (on parle d'un million et demi de vies arméniennes. L'Etat turc insiste lui, sur le nombre de victimes turques (quelques milliers) et sur des circonstances de guerre civile). Officiellement, l'Etat arménien salut l'initiative française (« lorsqu'il vote sur ce thème, le Parlement français est dans son droit » a déclaré le 12 octobre le ministre des affaires étrangères arménien, dans le Monde du 14 octobre).
Pour le International Herald Tribune daté du 16 octobre, le fait que le romancier turque Orhan Pamuk, qui avait été condamné par son pays pour insulte à l'identité turque en reconnaissant et en dénonçant le génocide arménien, ait reçu le Prix Nobel de littérature le même jour que le vote de la loi française est un signe qui ne trompe pas : en même temps qu'il est érigé en « héro de la culture nationale turque », Pamuk permet d'attirer l'opinion publique internationale sur ce qui reste un tabou en Turquie (...)
[...] (Michel Wieviorka, dans le Monde du 17 octobre). Les positions de MM. Rehn et Barroso expriment parfaitement l'inquiétude de l'Union Européenne de voir stopper leur progression dans les négociations avec la Turquie dans la voie des réformes démocratiques. Le président de la Commission, M. Barroso a déclaré que le sujet très sensible de l'Arménie devait être examiné par la société Turque elle-même et qu'il ne pensait pas que le fait qu'un Parlement à l'étranger prenne des mesures législatives sur des sujets d'interprétation et d'analyse historique soit une aide à cela. [...]
[...] Mais un texte qui semble engendrer de nombreuses conséquences indésirables La première mauvaise conséquence du vote par l'assemblée de cette loi, serait la dégradation substantielle des relations diplomatiques mais aussi économique entre la France et la Turquie. Le gouvernement turque n'a pas souhaité établir de rétorsions gouvernementales mais avertit la France sur de possibles boycotts de produits français à venir. L'Hexagone devrait également payer cette loi lors des attributions de grands contrats dans le domaine militaire et la construction de centrales nucléaires, et d'autres, pour un total de près de 4 milliards d'euros de projets en cours. En 2005, les exportations françaises sur le marché turc se sont élevées à 4,7 milliards d'euros. [...]
[...] Pourtant, on reconnaîtra qu'il est pratiquement impensable de revenir sur la pénalisation de la négation de la Shoah, et que la pénalisation du déni du génocide arménien est sujet à davantage de polémique. Pour quelles raisons ? On peut avancer les éléments d'explication suivants : le génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale est reconnu par l'ensemble de la communauté internationale (au contraire du génocide arménien contesté en premier lieu par la Turquie) et la Shoa fait en quelque sorte partie de l'histoire de la France puisque l'Etat a participé directement à la déportation des juifs. [...]
[...] II) Le législateur à la place de l'historien ? [Propos liminaires.] Le Parlement turc a exprimé sa "surprise de voir la France en position de décideur lorsqu'il s'agit d'événements historiques liés à la Turquie, alors qu'elle a préconisé de laisser ce rôle aux historiens dans les cas où ses propres actions ont fait plus d'un million de morts en Algérie, Indochine, Madagascar et autres pays d'Afrique", faisant référence à la loi du 23 février 2005 très contestée et finalement abrogée par le chef de l'Etat sur les effets positifs de la colonisation dans l'ancien Empire colonial français. [...]
[...] Selon lui, on comprendrait mal pourquoi les Arméniens ne bénéficieraient pas d'une protection identique à celle permise par la loi Gayssot. Se pose alors le problème de la définition du génocide. S'il est légitime de punir le déni d'un crime d'une telle gravité que le génocide, il s'agit de savoir si un génocide eut bien lieu en Arménie. Il semble que tous les politiques européens et français s'accordent sur ce point. Le génocide arménien fut également reconnu par la sous-commission des droits de l'homme de l'ONU en 1985. [...]
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