Analyser un thème depuis toujours central de la philosophie comme la liberté, sous l'angle de la sociologie, peut permettre de comprendre certaines notions par d'autres moyens. Il est donc très intéressant de comparer des textes d'un philosophe du XVIIème siècle tel Spinoza avec ceux du sociologue du XXème siècle qu'est Bourdieu et de voir alors ce que ce dernier emprunte au premier mais, surtout, ce qu'il apporte, par les outils de la sociologie, à cette analyse de la liberté.
Ainsi, et ce sera ma problématique, la construction d'un Sujet libre ne peut venir pour les deux auteurs que par une liberté comme connaissance des déterminations de nos actes, mais si Bourdieu emprunte à l'analyse de Spinoza, il s'agit de voir quelles sont les ruptures entre la pensée spinoziste de la nécessité et la sociologie de Bourdieu.
Nous expliquerons donc dans une première partie, la réflexion de Spinoza qui se détache de l'idée traditionnelle du libre-arbitre en appelant à un effort de connaissance de soi, et comment Bourdieu reprend ces conclusions. Puis dans une seconde partie nous penserons la liberté comme émancipation des hommes et nous chercherons à voir quelles sont les positions des deux auteurs sur cette question.
[...] Quel soulagement pour les agents sociaux de voir que leur domination peut-être sociologiquement comprise et cela dans ses replis les plus intimes, c'est à dire leur souffrance. Disposant désormais avec la sociologie d'instruments d'autodéfense contre les producteurs symboliques, l'agent social peut alors effectuer des choix en toute connaissance ou vouloir y changer quelque chose. Il y a donc bien dans la sociologie de Bourdieu l'idée d'une possibilité relative d'émancipation de l'homme mais, surtout, il y a celle d'un horizon de changements sociaux puisque le social n'est pas voué à une immobilité forcée, les champs de force pouvant par exemple évoluer. [...]
[...] En effet, il explique dans un entretien de 1980 avec D. Eribon qu'il doute cependant qu'il existe aucune liberté réelle que celle que rend possible la connaissance de la nécessité et reprend alors la philosophie spinozienne de la nécessité. Bourdieu pense qu'il nous faut connaître nos déterminations, ce qui pour lui est inflexible pour accéder à une vraie liberté. La sociologie doit alors selon lui dénoncer l'égotisme narcissique c'est-à-dire montrer à ceux qui se croient autoconscients, qui sont victimes d'une sorte de culte de leur prétendue liberté, et il s'agit là encore d'une démarche spinozienne, qu'ils ne connaissent pas non plus ce qui les pousse à agir. [...]
[...] La connaissance des causes pour Spinoza n'influe pas forcément sur l'effet. C'est donc Bourdieu qui va introduire l'idée d'orienter nos choix en utilisant le vocabulaire des probabilités au lieu de celui des nécessités. Il appelle à jouer de la connaissance du probable pour faire advenir le possible En évaluant les chances qu'a un événement de se produire, Bourdieu laisse une possibilité d'émancipation des agents sociaux éminemment supérieure à celle de Spinoza. Quand un homme a conscience des nécessités qui pèsent sur lui, il est alors réellement libre et devient lucide sur toutes les probabilités en jeu sur sa personne, il peut s'autodéterminé c'est-à-dire faire des choix réfléchis, notamment sur son chemin de vie, qui l'amèneront à des possibles que sa condition initiale n'envisageait, ne déterminait pas forcément. [...]
[...] En effet, Descartes pensait que la liberté était un attribut de l'Ame et que cette dernière serait une substance pensante séparée du corps. Cependant pour Spinoza, les décrets de l'Ame soit les choix personnels, ne sont en réalité que l'expression des appétits c'est-à-dire de nos désirs, qui varient selon les décrets du Corps. Ainsi, selon cette conception, si le petit enfant croit librement appéter le lait c'est qu'il ignore, qu'en réalité, c'est d'avoir été nourris uniquement de lait, alors qu'il était nourrisson, quand c'est la seule nourriture que sa nature pouvait supporter, qui a crée ce goût et son désir, son appétit du lait. [...]
[...] Cependant, la liberté de Dieu n'est pas, pour Spinoza, un libre décret c'est-à-dire une libre décision au sens de libre arbitre. Dieu ne peut pas choisir librement par exemple que le devoir des hommes soit de Le renier. Cela ne correspond pas à Sa nature divine. Il est libre par une libre nécessité qui est d'exister ou d'être omniscient, qui sont des traits correspondant à Son essence. La liberté de Sa volonté est comprimée dans la nécessité de Sa substance divine La liberté est alors comprise comme une libre nécessité et non comme un libre décret Spinoza va donner ensuite, dans cette lettre, l'exemple d'une pierre qui roule. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture