A première vue, tout semble séparer Lénine (Vladimir Illich Ulyanov de son véritable nom) de Mussolini. L'un a donné naissance au régime soviétique, alors que l'autre est le père du fascisme, traditionnellement placé à l'opposé sur l'échiquier politique, puisqu'il est souvent évoqué comme un anti-communisme. Pourtant, un trait fondamental, évident s'il en est, rapproche le dirigeant soviétique du Duce italien: ils ont tous deux été les instigateurs de deux des totalitarismes les plus destructeurs du XXe siècle, exception faite du nazisme hitlérien. Cependant, et ce malgré leur importance, ces deux personnages historiques sont trop souvent réduits à des portraits simplistes, ne rendant pas compte de la complexité de leurs cheminements intellectuels personnels et des influences diverses et parfois communes, qui se sont exercées sur eux. C'est cette tâche de restitution de la complexité de ces deux chefs idéologiques que se sont donnée Robert Service et Didier Musiedlak dans leurs biographies respectives de Lénine et de Mussolini. L'ouvrage de François Furet, Le passé d'une illusion, résulte de l'adoption d'une ligne de conduite différente : celle d'un questionnement plus général sur les raisons de la résonance du mythe communiste en Europe. Mais ce qui est intéressant ici est de voir, à travers son travail, à quel point le fascisme et le communisme peuvent être proches. Le lecteur est ainsi frappé, à la lecture de ces trois ouvrages, de découvrir que les univers des deux leaders totalitaires présentent bel et bien des similitudes. Dans cette perspective émerge la question de savoir comment deux hommes ayant subi certaines influences communes, notamment celle du marxisme, ont pu se faire les porteurs d'idéologies si différentes, bien que tout aussi radicales, et émergeant toutes deux à la faveur de la première guerre mondiale. Nous retiendrons ici trois grandes problématiques qui ressortent des travaux de R. Service et de D. Musiedlak, à savoir l'intérêt porté au milieu initial et aux influences originelles ; l'étude de la politisation et de l'élaboration de l'univers idéologique des deux leaders ; et enfin la question fondamentale de l'unité de leur pensée, trop souvent tenue pour un fait avéré. Nous insisterons ici plus particulièrement sur le processus de formation de la pensée des deux personnages, sans pour autant occulter leurs évolutions.
[...] Bien que se réclamant d'un marxisme parfaitement orthodoxe, les idées de Lénine ne sont en réalité pas aussi purement marxistes qu'il aimait à le clamer. Tout d'abord parce que le marxisme a donné lieu à une pléthore d'interprétations divergentes, dont la voie léniniste n'est qu'une parmi d'autres. Il est intéressant de reprendre ici le propos de F. Furet qui montre que des marxistes orthodoxes comme Karl Kautsky ou Rosa Luxembourg ont pu dénoncer les dérives de la mise en œuvre léniniste du marxisme. [...]
[...] Si Lénine combine des influences différentes, l'univers idéologique de Mussolini est nettement plus disparate. Didier Musiedlak nous dépeint dans sa biographie du Duce le portrait d'un homme à la croisée de trois auteurs majeurs : Darwin, Marx et Nietzsche. Ce qui rend la pensée de Mussolini peut-être plus complexe encore que celle de Lénine puisqu'il allie des univers mentaux à la fois de droite et de gauche. Sa fascination pour le darwinisme relève de plusieurs éléments. En premier lieu de son intérêt pour la biologie. [...]
[...] A la différence de Lénine chez qui prime la réflexion et la discussion, Mussolini est donc dès le départ un homme de terrain, qui va à la rencontre de la population. Parallèlement à ces déplacements, son séjour en Suisse est aussi l'occasion pour Mussolini de faire de nombreuses lectures et rencontres. C'est pendant cette période qu'il étudie le darwinisme, le marxisme, et la philosophie allemande. Il fera notamment une rencontre décisive, celle de la propagandiste russe Angelica Balabanoff, émigrée en Suisse. [...]
[...] Lénine et Mussolini ont tous deux en commun la volonté de vouloir changer la société toute entière. Mais il faut s'intéresser de plus près au contenu de leurs idéaux politiques pour voir apparaître les similitudes les plus frappantes entre les deux hommes. Tous deux marxistes (en tout cas jusqu'à la Grande Guerre pour le Duce), Lénine et Mussolini se positionnent à l'extrême gauche d'un mouvement lui-même déjà clairement marqué à gauche. C'est en cela qu'il est possible de parler à leur égard de communisme autoritaire. [...]
[...] En plus de se confronter aux textes écrits par Marx lui-même, précisément sur les conseils d'A. Balabanoff, c'est en autodidacte que Mussolini lit les marxistes, notamment Karl Liebknecht, Rosa Luxembourg, ou encore l'italien Antonio Labriola, duquel il retiendra une vision probabiliste et non déterministe du matérialisme historique marxiste, vision qui cadre avec l'importance que le Duce accorde à l'autonomie de l'action humaine. Soulignons aussi que le marxisme mussolinien est indissociable de sa composante militante qu'est le syndicalisme révolutionnaire. Il y associe l'idée, héritée de la Révolution Française, que le socialisme ne peut triompher sans la présence d'une élite révolutionnaire extrêmement bien structurée. [...]
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