Le Prophète Muhammad lui-même aurait selon la parole rapportée affirmé que « Lorsque les Arabes sont faibles, l'Islam est faible ». Une relation profonde entre Islam et arabité contredit en effet la théorie d'un cloisonnement total entre l'exaltation du peuple arabe et les appels à la pureté religieuse des premiers temps et à la promulgation de la chari'a par l'Etat. Nationalisme arabe et islamisme ne seraient ainsi pas nécessairement rivaux et, nés dans le même contexte, ils ont d'ailleurs longtemps collaboré. Comment dès lors l'un pourrait-il hériter de l'autre ? Comment un de ses mouvements pourrait-il se parer d'une aura de nouveauté et envahir l'espace politique, social et culturel laissé vide par une disparition totale de l'autre dès lors que les deux idéologies sont intimement liées et ne sauraient se survivre mutuellement ni s'affronter totalement ?
Une rupture complète semble pourtant bel et bien avoir été établie entre régimes arabistes et mouvance islamiste, particulièrement aujourd'hui où les régimes arabes issus d'un nationalisme modernisateur emprunté à l'Occident, sont constamment stigmatisés comme les ennemis proches faisant obstacle au projet islamique et réduisant l'Islam à un simple attribut culturel de l'arabité. L'islamisme s'était par ailleurs voulu entre-temps une alternative à la crise de l'arabisme au cours des années 1970, attirant des populations s'exprimant naturellement dans la terminologie musulmane et au sein de laquelle ni le communisme ni le libéralisme ne parvenaient réellement à s'enraciner. Islamisme et Arabisme semblent bien en opposition d'après ces éléments, d'autant plus que le premier aspire à succéder à l'autre à la direction des régimes arabes. On peut dès lors se demander si l'islamisme a bel et bien remplacé le nationalisme comme idéologie politique et sociale dominante dans les pays arabes, en d'autres termes si l'islamisme est bien l'héritier du nationalisme arabe.
[...] Enfin, l'islamisme se renforce aussi via le chi'isme révolutionnaire, le seul de ces foyers de prédication à intégrer une pensée politique. L'illégitimité de tout pouvoir non-mahdiste pour les chi'ite justifie la rupture avec un quiétisme séculaire et l'engagement d'une lutte contre les ingérences étrangères en Iran et en Irak, puis la proposition d'une alternative aux socialismes et aux nationalismes arabes qui posent le défi de la modernité. Le cercle de réflexion qui se constitue à Najaf autour de l'ayatollah Mohammed Baqr al- Sadr précise alors les contours d'une République islamique théocratique, radicalement distincte des démocraties communistes ou libéralo- capitalistes, que l'ayatollah Khomeiny veut conformes au principe du velayat el-faqih selon lequel les orientations de l'État doivent être définies par un docteur en religion. [...]
[...] Cette révolution retentit comme un coup de tonnerre dans les pays arabes où elle tente de s'exporter. Cette exportation échoue néanmoins au Liban, où le Hezbollah ne parvient pas à se légitimer auprès d'une communauté internationale sévère envers le terrorisme et ne parvient pas non plus à briser la représentation confessionnelle dans les institutions, et en Irak où Saddam avait d'abord réprimé toute contestation chi'ite révolutionnaire déclarée crime de haute trahison après l'exil du clergé et l'exécution de Baqr al-Sadr, et où l'intervention américaine de 2003 a déclenché une véritable anarchie dans laquelle islamistes sunnites et chi'ites se massacrent mutuellement, à l'image des partisans de feu- Zarqaoui et de l'étoile montante Moqtada al-Sadr, tandis que les troubles confessionnels ont des intérêts politiques plus que religieux. [...]
[...] Les waqfs sont nationalisés tandis que les clercs ou théologiens sont fonctionnarisés et reçoivent un traitement de l'État, émettant en contrepartie des fatwas commandées par l'État soucieux de légitimer religieusement ses politiques auprès d'une population qui comprend particulièrement bien ce langage. Les confréries soufies, bénéficiant d'une certaine marge de manœuvre pour le contrôle de la société civile et des communautés économiques, ainsi que de nombreux avantages fiscaux, favorisent le pouvoir auprès de la population avec laquelle elles sont en contact direct et diffusent ainsi la propagande du pouvoir. Le discours public, pendant ce temps, est de plus en plus dominé par les intellectuels laïcs qui substituent les considérations tiers- mondistes et socialistes aux débats religieux. [...]
[...] Ainsi, si les islamistes ont été muselés ou emprisonnés en Égypte, ils ont tout bonnement été supprimés par les Assad. L'islamisme dérive alors peu à peu vers un terrorisme radical qui s'implante tout d'abord au Proche-Orient avec le Hezbollah au Liban et le Hamas qui prend de plus en plus d'importance à la faveur des intifadas palestiniennes, avant d'être éclaté en divers mouvements très bien organisés vaguement fédérés au sein de nébuleuses internationales telles qu'Al-Qaïda. Les courants extrémistes issus du Jihad afghan prennent l'ascendant sur la mouvance islamiste mais ne parviennent pas à mobiliser des populations choquées par leur violence et leur haine tandis qu'ils sont condamnés par la quasi-totalité du corps des ‘ulama. [...]
[...] Arabisme et islamisme ne sont initialement pas des mouvements contradictoires et rivaux. Ils s'originent dans une réaction face à l'ottomanisme et aux politiques Jeunes-Turques, et œuvrent ensemble aux premières tentatives d'unité arabe, avant de révéler leurs divergences. Les similarités et les synergies entre les deux mouvements sont particulièrement manifestes dans les mouvements de contestation de l'autorité ottomane qui apparaissent avant la Première Guerre mondiale. Il est vrai que le panislamisme naît en réaction à l'affirmation de consciences ethniques séparées (Druzes, Fellah égyptien, chrétiens et juifs protégés par les capitulations Ainsi la propagande panislamiste de légitimation religieuse du pouvoir et des politiques d'Abdul Hamid visent pour le sultan à reprendre la main sur l'Empire segmenté par les indemnités et les régimes juridiques capitulaires. [...]
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