« L'intérêt général est regardé à bon droit comme la pierre angulaire de l'action publique, dont il détermine la finalité et fonde la légitimité ». Ainsi débute le rapport public de 1999 du Conseil d'État. Cette formule résume en une phrase la place réservée à cette notion dans l'administration française. Elle résonne, dans notre littérature nationale, comme une tautologie. Elle est pourtant riche d'implications, que ce mémoire tentera d'éclaircir.
Il convient tout d'abord d'apporter quelques précisions sémantiques : il sera souvent employé le terme d' « agent public ». Cette notion a semblé préférable à tout autre, en raison de son caractère générique. Le vocable « fonctionnaire » aurait en effet limité l'objet de l'étude aux seuls agents de l'État et des collectivités territoriales. Or l'administration doit ici être entendue, au sens large, comme l'ensemble des agents qui participent à la conception et à la réalisation des politiques publiques. De même, l'expression « décideur public » inclue tous ceux qui ont à prendre une décision de management public. Il a toutefois été distingué autant que possible entre sphère politique et administrative. Cette distinction n'a pas toujours été aisée, et ce pour deux raisons. Premièrement, cette séparation n'est pas tout le temps claire dans les modèles explicatifs de l'action publique, surtout quand ceux-ci empruntent de la science politique. Le management public est en fait une discipline fort récente dans l'histoire des sciences sociales, et son objet d'étude se trouve souvent confondu avec celui de la science politique. Si de nombreuses références ont été faites dans ce domaine, un travail systématique de distillation a été opéré, afin de tenter d'en extraire les éléments concernant plus directement l'administration. Deuxièmement, le monde administratif et politique sont, par nature, interconnectés. Parler de l'État en France, par exemple, implique d'aborder à la fois l'un et l'autre. Là encore, il a été recouru à l'histoire politique uniquement dans la mesure où elle a pu grandement influencer l'histoire administrative.
Une seconde précision, d'ordre méthodologique cette fois-ci, doit être faite. Ce mémoire a été conçu comme une démonstration. Il serait prétentieux, voire malhonnête, d'affirmer que les observations qui suivent décrivent la réalité objective de l'administration. Elles permettent seulement d'apercevoir, par un certain prisme, une part de cette réalité.
La première partie de ce travail correspond en vérité à la focalisation de ce prisme. Le management public a souvent chaussé les lunettes de l'économie, privilégiant une approche utilitariste. Sous cette expression sont regroupées toutes les théories qui prennent pour postulat la rationalité utilitariste des agents. Ceux-ci y sont appréhendés comme étant principalement guidés par la maximisation de leur bien-être. Ce travail n'a pas la prétention de discréditer ces théories. Il veut simplement en souligner certaines limites, et montrer qu'elles manquent parfois de répondre aux questions qu'elles posent. En relief, une perspective axiologique, centrée sur l'étude des valeurs pouvant motiver les actions individuelles et collectives, donne à voir de vastes champs d'explication. Loin de se rejeter, les deux approches se complètent à bien des égards. Car l'homme administratif, comme chacun de nous, est à la fois un homo economicus et un homo sociologicus. En conséquence, si l'approche sociologique est privilégiée dans cette étude, c'est pour faire un modeste contrepoids à une certaine hégémonie utilitariste.
[...] L'intérêt général pourrait très bien être conçu, dans ce cadre, comme la somme des intérêts particuliers. Tel n'est pourtant pas le sens des témoignages recueillis. Pour les personnes interrogées, un tel dispositif serait une grave atteinte au principe d'égalité. L'un déclare ainsi : C'est une remise en cause grave du principe de gratuité des dons d'organe en France. On peut envisager une indemnisation, mais certainement pas une rémunération. Sans compter le problème des groupes rares qu'il faut indemniser plus, etc. [...]
[...] Sans prétendre à la même exhaustivité, cette démarche s'inspire de l'individualisme méthodologique wébérien. Il ne s'agit pas de retracer, d'un point de vue holiste, les faits sociaux qui animent l'administration. Mais plutôt de restituer le sens que les individus donnent à leurs actions. Il est important d'expliciter ici la différence que Weber opère entre activités et actions. Alors que l'activité désigne simplement le fait pour un individu ou un groupe d'individus d'agir en vue de la résolution d'un problème spécifique, l'action implique quant à elle une dimension psychologique : l'acteur y est mu par une représentation du monde (Weltanshauung) qui donne sens à son acte[21]. [...]
[...] Ces normes sont le produit de représentations du monde qui induisent des systèmes de valeurs propres à les légitimer. Si cette vision de l'homme est en germe dans de nombreux écrits qui les ont précédés, Emile Durkheim et Max Weber furent sans doute les premiers penseurs à la théoriser clairement. Le management public ne fait pas, à ce titre, exception dans les sciences sociales. Il est, lui aussi, tiraillé entre ces deux directions. Toutefois, et sans doute parce qu'il est apparenté aux sciences de la gestion, l'approche économique y a joué un rôle prédominant, parfois même hégémonique. [...]
[...] De là découle le caractère utopique de l'État en France, dans la mesure où il est animé d'un projet de société idéal sur lequel il fonde son autorité. Aussi la première tâche qu'il s'est assigné fut-elle de diffuser ces nouvelles valeurs, propres à donner sens et légitimité aux normes qu'il instituait. D'où l'affirmation forte d'un discours d'autolégitimation : La dimension utopique de l'Etat se manifeste d'abord au niveau du discours, il y va de sa légitimité même : l'État instituteur du social doit exprimer une forme de volontarisme, et l'exprimer d'autant plus qu'il sait les limites de son action. [...]
[...] Si l'on s'en tient aux personnes, le déclin de l'énaclatura semble amorcé. À gauche, les éléphants du parti sont empêtrés dans des divisions profondes, dans lesquelles les ambitions individuelles croisent les débats d'idées, surtout depuis le référendum sur la constitution européenne. Dans le modèle parétien, ils s'apparenteraient davantage à des spéculateurs. La seule figure qui semble pour l'heure se démarquer du lot, si elle est bien énarque, est une femme : Ségolène Royale. Hormis sa caractéristique de genre, elle se distingue de plus en plus par un style et un discours qui n'emprunte justement pas à la rhétorique classique de l'intérêt général. [...]
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