Au Guatemala, la guerre civile (1962-1996) a été la plus longue et la plus meurtrière des guerres centraméricaines et pour la population civile, l'une des plus désastreuses de toutes celles que l'Amérique latine a connu au cours des dernières décennies. Le conflit a pris au début des années 1980 un virage dramatique : destruction de plus de 400 villages, massacres de populations civiles perpétrés par l'armée et les groupes paramilitaires, déplacement de personnes, principalement vers le Mexique. Le processus de paix, long et chaotique, a toutefois abouti à la conclusion d'un accord définitif le 29 décembre 1996.
Le Guatemala est le pays le plus indien d'Amérique et le seul pays d'Amérique centrale dont la population soit majoritairement indienne (60,3%). Les Indiens (appelés indigenas ou naturales) exercent généralement des professions peu valorisées bien qu'une minorité d'entre eux ait pu accéder à des emplois dans l'administration, l'enseignement sans renoncer à leur indianité. Mais quel que soit le secteur d'activité, ils demeurent exclus des sphères dirigeantes. On recense au Guatemala une vingtaine de langues mayas. Ces groupes ethno-linguistiques sont disséminés à travers le pays.
Notre travail questionne - plus qu'il ne répond - l'institution de la citoyenneté en Amérique latine et le statut des populations indiennes au Guatemala. Nous prendrons comme point de départ, le modèle élaboré par Marshall. Dans sa conférence (1949) intitulée «Citizenship and social class», la citoyenneté est conçue comme un «statut octroyé à tous ceux qui sont membres à part entière de la communauté. Tous ceux qui possèdent ce statut sont égaux du point de vue des droits et des devoirs que le statut accorde» . Marshall met en lumière la complexité de la notion de citoyenneté, qui loin d'être unitaire, comporte trois dimensions juridico-institutionnelles (civile, politique et sociale), dimensions, «dictées par l'histoire davantage que par la logique». La citoyenneté est née et s'est développée durant des siècles, avec l'établissement des droits civils fondamentaux au XVIIIe siècle, l'expansion des droits politiques au XIXe siècle et finalement le développement des droits sociaux et économiques dans le contexte de l'Etat providence du XXe siècle. Cependant, par une relecture critique qui s'appuie sur les spécificités propres aux sociétés latino-américaines, nous observons une différence dans l'agencement chronologique du processus de construction de la citoyenneté par rapport à ce qui s'est produit en Europe. Contrairement à ce qui s'est passé en Occident, les droits sociaux ont vu le jour avant les droits politiques. Le développement de la citoyenneté en Amérique latine ne suit ce modèle, d'autant plus que la reconnaissance de la dimension politique de la citoyenneté par les instances étatiques est elle-même questionnée par l'apparition dans l'espace publique de mouvements indiens. De tels mouvements contestent les approches libérales et républicaines classiques, où les droits sont basés sur l'individu. Ainsi, il est possible de se demander si la reconnaissance politique de droits collectifs pour les populations indiennes peut induire de nouvelles formes de citoyenneté. Dans un premier temps nous nous pencherons sur l'héritage historique afin de mieux appréhender, dans un second temps, les stratégies des mouvements indiens. Enfin, il semble nécessaire de s'interroger sur les enjeux de la reconnaissance de la pluralité culturelle.
[...] Les Guatémaltèques ont désapprouvé, lors du référendum mai 1999[9], les réformes constitutionnelles portant sur le statut des populations indiennes, qui auraient permis de donner un cadre légal aux accords de paix. Les indiens se sont vus refuser la reconnaissance officielle de leur identité et de leurs droits comme le prévoyaient ces accords, qui reconnaissaient le pays comme une entité «multiethnique, pluriculturelle et multilingue». Les enjeux d'une citoyenneté multiculturelle Approche critique de la citoyenneté libérale classique, le multiculturalisme propose de reconnaître le rôle central joué par les différences - refoulées par la tradition libérale ou républicaine, dans l'espace privé dans la constitution de l'individu en tant que citoyen. [...]
[...] Cet accord donne une formulation étendue et détaillée des droits indigènes. Il reconnaît l'identité des peuples indigènes et leur accorde des droits spécifiques : d'une part des droits culturels (officialisation des langues indigènes et éducation plurilingue) et d'autre part, des droits civils, politiques, économiques et sociaux particuliers (réactivation des communautés et des autorités indigènes au niveau local, mécanismes de consultation et de participation). Dans l'accord indigène, une attention particulière a été portée sur la discrimination subie par la population indigène en matière de justice. [...]
[...] L'indien est perçu comme citoyen non-utile à la nation. Ceci apparaît clairement dans des textes officiels : même, il (Monsieur le Président) est convaincu que l'unique moyen d'améliorer la situation des indiens, de les sortir de l'état de misère et de dégradation dans lequel ils se trouvent, c'est de leur créer des besoins qu'ils acquerront par le contact avec la classe ladina. On les habituera au travail pour qu'ainsi ils puissent les satisfaire. De cette façon, cette immense majorité des habitants de la République qui n'a pas encore reçu la lumière de la civilisation, deviendra utile et productive pour l'agriculture, pour le commerce et pour l'industrie du pays» (Circulaire du 3 novembre 1876). [...]
[...] La réclamation d'une reconnaissance politique des identités données pour «particularistes» entre en conflit avec la conception que les systèmes dominants se font de la citoyenneté parce que, comme l'a souligné Ernest Gellner, la pulsion essentielle des nationalismes est de construire l'espace politique des nations sur le présupposé d'espaces culturels homogènes. Il est possible d'identifier trois grandes logiques d'actions mises en œuvre par ces groupes. Premièrement, ils revendiquent une plus grande intégration au système politique et économique. Une seconde stratégie est la pression exercée sur les instances dirigeantes pour faire reconnaître publiquement le pluralisme culturel. Une troisième, plus radicale, réside dans la volonté de certaines communautés indiennes de se voir accorder un droit à l'autodétermination. [...]
[...] L'ouverture démocratique a permis d'ouvrir une brèche dans laquelle s'est développé un mouvement d'émancipation. Ce mouvement va se prolonger malgré le coup d'Etat de 1954, que les Etats-Unis organisèrent pour renverser le gouvernement de Arbenz, mettant ainsi fin à l'unique expérience démocratique qu'avait connue ce pays depuis l'indépendance. Les mouvements indigènes luttent pour la reconnaissance de droits spécifiques Pour Yvon Le Bot, l'apparition de tels mouvements dans l'espace publique, à partir des années 1970, s'explique essentiellement par le reflux des «acteurs de classe» et «acteurs nationaux» (populistes ou révolutionnaires)[3]. [...]
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