« La Quatrième République meurt beaucoup moins des coups qui lui sont portés que de son inaptitude à vivre » écrit Hubert Beuve–Méry dans Le Monde du 29 mai 1958. Le souvenir de l'instabilité chronique de la IIIe République, encore très présent au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, explique en partie le rejet du premier projet de Constitution, qui prévoyait une Assemblée unique et puissante. Le Discours de Bayeux, du 16 juin 1946, dans lequel le Général de Gaulle plaide en faveur d'un exécutif puissant, n'empêche pas le corps électoral d'accepter la nouvelle Constitution ; à une faible majorité, toutefois. On peut avancer que la IVe république était une étape nécessaire : l'épisode de Vichy, trop présent encore dans les mémoires, rendait caduque la mise en pratique du Discours de Bayeux et l'institution d'un pouvoir aussi personnalisé que celui voulu par le Général de Gaulle. Le choix d'un régime parlementaire moniste, peu rationalisé, consacre un retour partiel aux mœurs de la IIIe République. Mais c'est la pratique politique qui est véritablement la source de l'instabilité gouvernementale et de l'avènement d'un régime dominé par le jeu des partis, contre lequel le Général de Gaulle s'était mobilisé.
Il convient d'examiner dans quelle mesure la succession des crises ministérielles est le fruit d'un « régime des partis » et en quoi les alliances partisanes, pour la sauvegarde de la République « mal-aimée » contre les partis d'opposition au régime, sont lourdes de conséquences pour la légitimité du système représentatif et pour le régime lui-même.
L'instabilité gouvernementale est symptomatique d'un régime dominé par les partis. (I). Si l'incapacité du régime est à relativisée, son «inaptitude à vivre » prend sa source dans les conséquences des dérives politiciennes. (II)
[...] Les coalitions de soutien au régime s'apparentent à des mariages forcés. Elles vont de la gauche à la droite, des socialistes aux modérés (d'où la nécessité de la révision de 1954 pour l'investiture qui ne nécessite désormais plus la majorité absolue). Les majorités sont mouvantes, en fonction des enjeux et des intérêts partisans. Il existe des problèmes qui rassemblent et des problèmes qui divisent : des majorités en fonction des sujets. Par exemple, socialistes et républicains populaires s'accordent sur la politique économique mais s'affrontent sur la question de la laïcité et la scolarité. [...]
[...] Elle subit les critiques de l'opinion publique, qui parle de syndicats de sortants accouplement contre natures, scrutin de voleurs Le régime parlementaire en vient à se méfier de l'opinion publique : les personnalités populaires comme Antoine Pinay ou Pierre Mendès France sont évincés. Le peuple se sent dépossédé de sa souveraineté. En outre, les coups portés contre le régime des partis sont nombreux. L'heure est à la crise ; crise économique et sociale, marquée par la multiplication des grèves, notamment après le renvoi des communistes du gouvernement. Crise politique également, avec la montée de l'antiparlementarisme. [...]
[...] Enfin, le paradoxe du régime des partis réside dans la démission du Parlement. Le gouvernement est en effet peu à peu habilité à intervenir dans le domaine législatif par l'extension du pouvoir réglementaire Après la loi du 17 août 1948, l'article 6 de la Constitution prévoit que les décrets pris par le Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat peuvent abroger, modifier ou remplacer les lois en vigueur dans certains domaines législatifs ayant un caractère règlementaire et ce, en dépit de l'article 13. [...]
[...] Enfin, la pratique dite des votes calibrés rend caduque l'usage de la dissolution. De fait, le vote de confiance se voulait rationalisé; il nécessitait notamment la majorité absolue des voix. De même, la dissolution ne pouvait être pratiquée dans les dix-huit mois après le début de la législature ; deux renversements de gouvernement de manière constitutionnelle dans les dix-huit mois suivant étaient également nécessaires. Pourtant, les partis s'entendent pour mettre le gouvernement en minorité sans qu'il y ait recours à la dissolution. [...]
[...] Apparaît donc la contradiction majeure du régime des partis : alors même qu'ils sont porteurs d'une sensibilité politique propre, les contraintes du système conduisent les forces politiques à se réfugier dans des combinaisons centristes pour soutenir le régime. Ces combinaisons qui semblent nier les clivages idéologiques, en sont, de fait, les victimes : tensions entre partis et à l'intérieur des partis ont raison des alliances successives. La Ve République tirera les conclusions de la faillite de la IVe : régime parlementaire davantage rationalisé on peut citer à ce titre l'avènement du contrôle de constitutionnalité émergence du Chef de l'Etat en tant que chef de l'exécutif et guide politique. [...]
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