L'entrée en guerre des Etats-Unis contre l'Irak en mars 2003 a été justifiée par le président George W. Bush par le devoir qui incombait à l'Amérique d'exporter les valeurs de démocratie et de liberté dans un pays faisant partie de l' « axe du mal », et par l'impérieuse nécessité de faire tomber un régime à la tête duquel se trouvait le « tyran » Saddam Hussein.
Tunisienne d'origine juive, Sophie Bessis est une universitaire de renom. Après avoir fait ses premières classes au sein du lycée français de Tunis, et obtenu une agrégation d'histoire, elle devient historienne et journaliste spécialisée dans les questions des rapports nord-sud. Elle est par ailleurs l'auteur de plusieurs ouvrages, dont « L'Occident et les autres, histoire d'une suprématie » (paru en 2002), dont le texte commenté ici est un extrait.
L'auteur présente dans cet essai une analyse des rapports entre le monde occidental et les pays du sud. Elle tente de nous expliquer par quels moyens les pays occidentaux ont tenté de redéfinir et légitimer leur doctrine d'intervention extérieure dans le contexte post-1989, qui a vu s'effondrer l'idéologie soviétique (et qui a fait de l'Occident, les Etats-Unis en tête, une véritable super puissance hégémonique) par la mise en avant de valeurs et de principes dits « universels », mais dont ils se sont pourtant octroyé le monopole de la défense et de la promotion, à travers notamment le très commode alibi de l' « ingérence humanitaire », réinventé pour l'occasion.
En quoi cette renaissance du concept d'ingérence humanitaire révèle-t-elle une volonté proprement occidentale de légitimer sa position de super puissance en mettant en avant et en cherchant à imposer aux « autres » des valeurs qui lui seraient consubstantielles ? Comment l'idée d'une telle consubstantialité entre humanisme et occident s'est-elle encrée dans les esprits européen et américain, et en quoi cette représentation monopolistique du monde représente-t-elle un danger ? Telle est la problématique à laquelle ce texte cherche à répondre.
Nous verrons tout d'abord que la réinvention de l'idée d'ingérence s'opère à l'aune de la nécessité, pour les Etats occidentaux, de fonder une légitimité à leur hégémonie nouvelle (I), pour ensuite constater que l'Occident se présente comme unique détenteur du droit d'ingérence dont il définit seul les conditions d'application, ce qui ne manque pas d'avoir de conséquences souvent graves sur le terrain (II).
[...] Par ailleurs, l'exemple choisi par auteur selon lequel on imagine mal une mission d'enquête sénégalaise ou indienne visitant les prisons françaises ou les pénitenciers américains est à ce titre éloquent. Et si l'internationalisation de la fonction publique onusienne a fait émerger quelques grandes figures issues des pays du sud au sein de la diplomatie mondiale, ces dernières ne sont chargées que d'appliquer la norme, non de la définir Aussi l'autorité de l'ONU ainsi que celle de son ancien secrétaire général guinéen, M. [...]
[...] Pour asseoir son hégémonie nouvelle, l'Occident n'a donc d'autre choix que celui qui consiste à présenter ses modèles économique, politique et social comme étant les mieux à même d'aboutir à la liberté, à l'égalité et à la prospérité, et à les promouvoir à travers la planète tout en faisant en sorte que les populations s'y soumettent. Ainsi, les Etats occidentaux veulent accréditer l'idée que [leur hégémonie] est porteuse de progrès pour ceux qui s'y soumettent et, ce faisant, se découvrent des devoirs Un concours de circonstances a permis aux puissances occidentales de trouver un outil qui n'a rien d'inédit, à partir duquel ils ont refondé leur doctrine d'intervention extérieure : le droit d'ingérence. [...]
[...] Ainsi, le désarroi fut grand pour les ligues tunisiennes de défense des droits de l'homme lorsque le Président de la République française, M. Jacques Chirac, fut amené au cours d'une conférence de presse s'inscrivant dans le cadre de sa visite d'Etat à Tunis en décembre 2005, à s'exprimer sur l'état dramatique des libertés fondamentales en Tunisie et sur le sort des quelque 1500 prisonniers politiques torturés encore aujourd'hui dans les geôles tunisiennes à la suite de simulacres de procès. Le Président de la patrie des Droits de l'homme répondit que le premier des droits de l'homme est de boire et manger à sa faim Ainsi tant que l'Occident continuera d'ériger [des barrières] entre lui et les autres et d'entourer l'« universel de frontières arbitrairement tracées, tant qu'il n'aura ni su faire preuve d'humilité ni appris à partager les valeurs qu'il prétend défendre plutôt que de les imposer d'une manière ambiguë sinon douteuse, il préparera inexorablement le terrain à la montée d'intégrismes en tous genres qui s'improviseront les porte-parole des peuples opprimés tout en éloignant encore un peu plus la perspective d'un monde plus juste, plus libre. [...]
[...] Ces intérêts, qui restent soumis aux impératifs supérieurs de la géopolitique sont fondés sur le cynisme de la raison d'Etat comme nous le détaillerons plus tard. D'autre part, ces logiques étatiques rencontrent celles d'une sphère dont nous pouvons dire qu'elle relève davantage de la société civile : les nouvelles générations de militants issues notamment de mouvements associatifs créés au sein même des pays occidentaux, qui ont formulé leur exigence depuis la fin des années soixante : agir ici et maintenant afin de soulager les douleurs concrètes Ces acteurs exigent de leurs gouvernements qu'ils mettent fin aux situations les plus dramatiques de pauvreté et de violation des droits humains partout dans le monde, ce qui constitua une coïncidence heureuse pour les puissances occidentales, se voyant ainsi soutenues dans leur volonté de placer certaines parties du monde sous surveillance pour les besoins du droit Le droit d'ingérence pour des motifs humanitaires était réinventé. [...]
[...] auteur répond que oui, mais avec une méfiance légitime au vu des stratégies alambiquées qui sous-tendent l'ingérence occidentale, comme nous l'avons décrit plus haut. En effet, elle affirme que le peu glorieux état du monde commande d'agir là où le besoin s'en fait sentir Mais à force de vouloir à tout prix être la seule puissance à pouvoir légitimement asseoir une doctrine de politique étrangère basée sur le respect des droits de l'homme, l'Occident non seulement perd de sa crédibilité sur le terrain (les irakiens ou les rwandais n'ont vu que peu d'humanisme dans les politiques menées chez eux par les puissances occidentales), mais en plus contribue à étouffer toutes les voix de modération issues de pays du sud, ces voix qui appellent à la défense des idéaux démocratiques que sont le bien et le juste et qui ont par conséquent longtemps cru voir dans l'Occident un allié de poids dans leur lutte contre les dictatures et les intégrismes, premiers bourreaux des libertés fondamentales. [...]
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