Depuis des années, la France peut être qualifiée de « paradis des sondages ». Elle détient de fait le record du monde de la publication des sondages de tous types ; le phénomène est d'autant plus sensible pendant les périodes de campagne électorale.
Fondés sur la théorie de la probabilité, les sondages visent à mesurer l'état de l'opinion publique à un moment donné, en interrogeant un « échantillon représentatif » de la population concernée. En effet, la « banalisation » des sondages, de leur publication en premier lieu, tend à modifier les règles du jeu électoral.
Le fait de pouvoir connaître à tout moment l'état de l'opinion publique change les conditions du scrutin. Les enquêtes réalisées durant la campagne électorale influencent lourdement le milieu politique.
Or, ces sondages sont en réalité peu fiables du fait qu'ils saisissent des intentions de vote souvent fictives, potentielles et non encore cristallisées. On sait que les données brutes par les sondeurs sont erronées : les personnes interrogées sous-estiment leur tendance à s'abstenir (car voter est un devoir civique), elles sous-estiment aussi leur intention de voter pour des extrêmes (cela ne se confesse pas volontiers à un enquêteur) et sur-estiment en revanche leur vote pour les grandes forces politiques ou les écologistes.
Cependant, nous ne voulons pas faire ici la critique de l'essence même des sondages, cela est un autre sujet. Nous ne voulons pas traiter l'aspect méthodologique ni déontologique des sondages. Qu'ils soient basés sur des présupposés vrais ou faux, cela ne fait en fin de compte aucune différence. Peu importe que le résultat du sondage soit erroné (voire volontiers faussé) : dès lors qu'il est publié, les acteurs politiques le prennent en compte et doivent se comporter comme s'il annonçait une évidence.
L'essentiel est que les hommes politiques, et plus encore les électeurs, croient en leur véracité. De même que le Tour de France n'est pas le même selon que l'on connaît ou non l'état de forces des autres coureurs, la campagne électorale se déroule autrement lorsque les partis politiques disposent des sondages. Les sondages représentent la fameuse opinion publique, et les hommes politiques ajustent leurs comportements pour lui plaire. Et l'électeur ? Les sondages n'influencent-ils également les choix électoraux ?
[...] Cela a un effet pervers sur les citoyens, surtout en ce qui concerne son choix final, et ce à plusieurs niveaux. Tout d'abord, il y a un effet d'entraînement. Beaucoup de gens préfèrent voter du côté gagnant sans tenir compte du programme du parti lui-même. D'où l'expression voter du bon bord Néanmoins ce comportement n'est pas souhaitable dans une saine démocratie, où en principe les hommes devraient voter en fonction de leurs convictions plutôt que selon la popularité ponctuelle des partis. [...]
[...] Mais les électeurs peu politisés sont peu sensibles aux sondages Il semblerait donc que les sondages ont un impact considérable sur les choix électoraux. Et pourtant, cette théorie (à l'exception peut-être de l'effet d'entraînement) n'est valable que pour l'électeur rationnel : un électeur hautement politisé qui évalue constamment et sans faille l'utilité de son action. Or, nous savons que cet électeur en réalité n'existe pas, ou très peu. La plupart des citoyens ne sont pas politisés du tout : une partie de la population, beaucoup plus grande que l'on ne croit, fait son choix le jour même des élections. [...]
[...] En effet, la banalisation des sondages, de leur publication en premier lieu, tend à modifier les règles du jeu électoral. Sur le Tour de France cycliste, des motards, munis d'ardoise, font connaître au peloton et aux échappés, tout au long de chacune des étapes, l'avance et le retard des différents coureurs : depuis leur apparition, c'est toujours le Tour, ce n'est plus la même course, proposait Roland Cayrol une comparaison en 1992. Le fait de pouvoir connaître à tout moment l'état de l'opinion publique change les conditions du scrutin. [...]
[...] Troisièmement, un autre effet des sondages est appelé l'effet de démobilisation. Les sondages indiquant déjà qui va gagner, les électeurs ont l'impression que voter ne sert plus à rien, puisqu'on connaît l'issue principale de l'élection. Cet effet est encore plus marqué pour les partis qu'on annonce perdants, leurs partisans pouvant être victime de découragement. Le contraire peut aussi survenir, dans le cas d'un parti ayant une bonne avance, les partisans trop optimistes pourraient penser que leur parti n'a pas besoin de leur vote pour gagner. [...]
[...] Il ne faut pas oublier que la plupart des sondages d'intention de vote ou de préférences politiques ne sont jamais publiés. Ils sont commandés par les appareils de campagne pour le compte de leur marketing électoral, et leur objet est, par exemple, d'aider au choix des candidats : certains partis font effectuer des enquêtes pour déterminer quelle personnalité sera la mieux pour porter leurs couleurs lors des futures élections. L'influence des sondages est alors indirecte: elle est liée aux commentaires qu'ils engendrent, aux réactions des états-majors politiques, aux modifications éventuelles des campagnes. [...]
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