La guerre adjoint ce que nous craignons le plus (mort, destruction, violence) en tant qu'individus à ce que nous, en tant que membres d'une communauté, valorisons le plus (courage, loyauté, sacrifice). Cette sanctification du service dans la guerre juste est demeurée : l'expression mort pour la patrie reflète la consécration non pas d'un héros – qui nous importe peu en tant que communauté – mais de celle d'un martyr, mort pour une cause juste (la défense de sa patrie). Car le chrétien fait la guerre pour le bien de son ennemi, pour le faire participer à la justice divine.
[...] Mais c'est aussi parce que le chrétien aime d'abord sa communauté qu'il a le devoir moral de la protéger. La croisade apparaît alors comme une guerre agréable à Dieu, qui la justifie et la sanctifie. Le salut est promis à celui qui meurt dans ce combat pieux[1], et l'archevêque Turpin déclare aux hommes d'Europe : Si vous meurez esterez saints martirs Si les guerres saintes sont menées au nom de la communauté des chrétiens[2], il s'agit également d'un engagement individuel, chaque croisé sauvant son âme pour l'Eternité. [...]
[...] L'aspect religieux et tribal de la communauté guerrière, l'accent mis sur le courage demeure, mais ils sont supplantés par la politisation et la sécularisation de la notion de guerre juste. Si le guerrier reste un héros pour la communauté, c'est le général qui devient le champion des Etats. La réalité morale de la guerre juste inscrit l'individu dans un projet collectif universel L'impératif kantien établit que les individus, ayant une volonté libre et distincte de celle de leur communauté, sont eux-mêmes soumis à ces règles, et exigent des autres qu'ils y soient soumis. [...]
[...] Qu'en est-il lorsque la défense de valeurs morales exige que soient violés les principes du jus in bello ? Ceux qui commettent les actes immoraux ne sont pas déchargés de responsabilité morale, mais des individus acceptent parfois de supporter cette immoralité afin de transmettre des valeurs morales intactes aux générations suivantes. Au regard de l'actualité, des questions très concrètes se posent alors à nous : les droits de l'homme et le principe de discrimination du jus in bello peuvent-ils être surmontés par une cause tellement juste, que la nécessité de s'en prendre aux populations civiles, tout en restant un acte mauvais, ne suffirait pas à annuler la justesse de la guerre ? [...]
[...] Chaque individu, parce qu'il est libre, possède l'autorité morale de juger lui-même la guerre, et doit la conduire au nom de cette liberté et des droits qui en découlent. Cette reformulation de la guerre se trouve à la croisée de deux idées : d'une part, à un moment charnière de l'histoire occidentale où l'Etat-nation s'impose, l'idée que la légitimité d'un Etat repose sur ses membres, et de l'autre l'idée que la guerre est une entreprise d'Etats et non pas un acte d'individus. [...]
[...] Philippe le Bel va ainsi faire de la France une nouvelle Terre Sainte occupée par un peuple élu, puis ce sera au tour de Charles VII de déclarer ceux qui meurent au combat pour la France martyrs de Dieu[4]. La confusion entre l'Etat et le sacré est accomplie, et le roi devient la tête du corps mystique politique, tandis que le Christ est la tête du corps mystique de l'Eglise, pour reprendre la célèbre dialectique de Jean de Terrerouge. Dès lors, le concept de guerre juste s'éloigne de la sphère religieuse pour devenir un acte éminemment politique, un acte d'Etat. [...]
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