On entend par idéologie politique un ensemble de concepts visant tant à l'explication des phénomènes qui déterminent l'histoire et l'évolution de la société, qu'à la prescription de moyens destinés à influer sur cette évolution afin d'atteindre certains objectifs considérés comme préférables ou souhaitables. Le terme de démocratie désigne quant à lui un type de régime amenant le plus grand nombre à prendre part au débat politique ainsi qu'au gouvernement de la cité, à travers l'institution du peuple souverain.
Les illustrations fournies par l'histoire de ce que les idéologies peuvent exercer une emprise sur la société jusqu'à annihiler le débat démocratique et ainsi priver le peuple de sa souveraineté ont, ces deux dernières décennies, conduit à interpréter le reflux contemporain des idéologies politiques en termes positifs, comme la manifestation d'un « pragmatisme » qui conviendrait mieux à une action politique éclairée et efficace.
Cet éloge de l'observation des faits par rapport à la théorie appelle cependant quelque nuance. On envisagera successivement la mesure dans laquelle les idéologies politiques sont porteuses d'une menace à l'endroit de l'esprit de la démocratie (I) et les bénéfices résidant dans la contribution des idéologies politiques au débat démocratique (II).
[...] Les idéologies politiques peuvent en effet être vues comme les sources privilégiées des idées, des concepts et des valeurs alimentant le débat démocratique. Ainsi Tocqueville relève-t-il, dans un chapitre de la Démocratie en Amérique consacré au rapport des Américains à l'idéologie, que les hommes qui vivent dans les pays démocratiques sont fort avides d'idées générales parce qu'ils ont peu de loisir propice pour eux à déterminer par eux-mêmes les valeurs auxquelles ils adhéreront, les objectifs qu'ils souhaitent voir atteints, et les politiques devant être mises en oeuvre à cet effet. [...]
[...] Cet éloge de l'observation des faits par rapport à la théorie appelle cependant quelque nuance. On envisagera successivement la mesure dans laquelle les idéologies politiques sont porteuses d'une menace à l'endroit de l'esprit de la démocratie et les bénéfices résidant dans la contribution des idéologies politiques au débat démocratique (II). Dissertation I.A. En tant qu'elles constituent des systèmes fermés, les idéologies politiques peuvent être interprétées comme des menaces pour l'esprit de la démocratie. [...]
[...] L'essence de cet espace public renvoie en effet tout aussi bien aux décisions finales qu'à leurs présupposés, dont la substance découle d'une analyse de la société sous un certain angle et de l'adhésion à certaines valeurs, cette analyse et ces valeurs combinées trouvant leur origine dans les idéologies politiques. C. La fin des idéologies proclamée à l'époque contemporaine relèverait donc elle-même d'une idéologie, qui aurait pour fin de contourner la mise en débat démocratique, le retour sur la confrontation au réel de la bonne politique et permettrait, selon un phénomène analysé par Karl Polanyi, à la sphère technico-économique de prétendre soumettre les autres sphères d'activité à ses exigences et à sa rationalité spécifiques La voie de la prééminence de l'esprit de la démocratie face à la menace portée par les idéologies, dussent-elles paradoxalement proclamer la fin des idéologies, réside donc dans la capacité à ménager cet espace public : espace de la réception des idées politiques, espace de résonance des valeurs auxquelles les citoyens choisissent éventuellement d'adhérer, espace de la mise en débat de ces idées et de ces valeurs - et qui par conséquent ne se passe pas de l'implication de citoyens éveillés à l'appréhension et à la pratique du débat démocratique. [...]
[...] L'époque contemporaine apparaît marquée par un certain nombre de problèmes à cet égard : désinvestissement des citoyens de la pratique du gouvernement, perte de maîtrise et complexité croissante du fait de l'ouverture des frontières et de l'accélération du progrès technologique, érosion des valeurs partagées à l'heure de la reféodalisation du lien social et du rapport politique. Le constat d'une société plus flexible, plus précaire, rassure paradoxalement dès lors qu'une telle société, fût- elle marquée par une forme de reflux démocratique, offre moins de prise aux idéologies politiques, et par conséquent est de moins en moins susceptible d'une dérive totalitaire. [...]
[...] Cependant, dans cette optique de la dérive totalitaire, les idéologies ne se révèlent porteuses de menaces pour la démocratie qu'au-delà d'un certain point correspondant au dépassement, voire au contournement du débat démocratique qui, selon les principes fondant ce régime, est supposé toujours précéder et ainsi éclairer l'action collective explicite. Il convient par conséquent d'examiner plus attentivement jusqu'à quel point et sous quelles conditions les idéologies politiques sont susceptibles de contribuer à la richesse du débat démocratique, et par conséquent, loin de menacer ce débat, concourent à l'esprit de la démocratie. [...]
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