L'Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), proclamée par Lénine en 1922, agglomérait à la
suite de la Révolution de 1917 plusieurs dizaines de républiques « satellites » de taille plus ou moins grande, réunissant ainsi des nations qui n'avaient en commun que leur appartenance à cette entité politique socialiste. En effet, qui pourrait dire que les traditions polonaises, biélorusses et kazakhes étaient similaires à cette époque où la mondialisation n'avait pas même entamé son processus d'uniformisation des cultures ? L'URSS, face à ces
différentes nationalités, avait adopté une attitude à la fois simple et ambiguë, qui consistait à la fois à reconnaître les différentes nationalités, comme le démontrent les recensements de l'époque, où, comme l'écrit Juliette Cadiot, plus de 150 « désignations nationales » étaient admises, et à la fois à tenter, pour des raisons d'unité politique, d'assimiler chaque nationalité au sein de la grande URSS, en essayant de les unifier les unes par rapport aux
autres. Mais, comme le montre l'introduction en 1932 d'un passeport intérieur qui mentionnait la nationalité de chaque ressortissant, ce qui visait à restreindre les déplacements au sein même de l'URSS, l'heure était surtout, à cette époque là, aux contrôles permanents des russes afin d'éviter tout risque de soulèvement, mais surtout pour augmenter le taux de pénétration du parti dans les villes et les campagnes. La chute de l'URSS, en 1991, a causé un brusque retournement de la situation dans laquelle vivaient les différentes nations qui composaient l'URSS. En effet, l'effondrement de l'URSS a permis la renaissance ou la création des états dit « post soviétiques » parmi lesquels on trouve l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Tous ces états, c'est-à-dire selon Max Weber repris par Ernest Gellner, « ces groupements, au sein de la société, qui détiennent le monopole de la violence légitime » ont permis la construction de nationalités, c'est-à-dire l'instauration d'une « appartenance juridique des habitants d'un état à celui-ci ». Mais ces nationalités, nées d'états qui sont eux-même issus de l'éclatement d'une fédération gigantesque, correspondent-elles aux identités nationales de leurs possesseurs ? En d'autres termes, les détenteurs d'une nationalité ressentent-ils toujours, intimement, que celle-ci est la leur et qu'ils n'en ont pas d'autre, qui serait par exemple issue de leurs origines ethniques ? Il semble bien que non, étant donné l'émergence rapide de mouvements nationalistes, comme le montre par exemple le soulèvement de 100 000 « nationalistes » à Tbilissi dans la nuit du 8 au 9 avril 1989, qui revendiquaient un nationalisme arménien face au projet de nouvelle Constitution russe qu'ils qualifiaient « d'anti nationaliste ». De la même manière, comment ne
pas envisager l'existence de nationalismes quand, comme le rappelle Benedict Anderson, au XIXè siècle, « les Romanov régnaient sur des Tatars et des Lettons, des Allemands et des Arméniens, des Russes et des Finnois. […] La légitimité fondamentale de la plupart de ces dynasties n'avait rien à voir avec la nation ». Ainsi, l'existence d'identités nationales distinctes des nationalités administratives peut elle conduire à l'émergence de nationalismes qui, selon Ernest Gellner, sont « un principe politique qui affirme que l'unité politique et l'unité nationale doivent être congruentes ». Ces mouvements naissent, selon lui, du « sentiment nationaliste, sentiment de colère que suscite la violation de ce principe ». En effet, « le principe nationaliste » peut être bafoué de multiples manières : on peut par exemple imaginer le cas d'états dont les frontières n'englobent pas tous leurs ressortissants, ou englobent des ressortissants d'autres pays, qui pourraient alors eux aussi invoquer des principes nationalistes
afin de faire reconnaître leur identité singulière. En somme, les mouvements nationalistes souhaitent faire reconnaître à l'état dont ils dépendent leur appartenance à une nation commune mais distincte de celle proposée par leur état, c'est-à-dire leur appartenance, selon Benedict Anderson, à « une [autre] communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine ».
[...] Mais également, étant donné les migrations de masse que le capitalisme a entraînées, un repli sur les racines identitaires de certaines catégories des populations déracinées, qui se tournent vers ce qu'elles connaissent au mieux, leur culture et leurs racines. De même, les populations des pays d'accueil de ces immigrés du capitalisme se tournent-elles, elles aussi, vers leurs racines, afin de freiner la propagation de la culture des sociétés qu'elles accueillent. Ce fut ainsi particulièrement le cas dans les pays baltes après la Seconde Guerre mondiale, puisque l'URSS, à cette époque, décida de russifier largement ces régions grâce à une immigration massive de Russes (représentant 25% de la population en Estonie en Lettonie, et 15% en Lituanie). [...]
[...] Doit-on retenir comme critère déterminant d'une identité nationale l'existence d'une histoire commune ? L'existence d'une langue commune ? D'une religion commune ? La coexistence de l'ensemble de ces critères à la fois, quitte à ne pas reconnaître l'existence de certaines nations alors même qu'elles aspirent à détenir une identité nationale ? De même, il peut être intéressant de se tourner vers les différentes réactions à la fois des nations mais aussi des états face aux nationalismes, afin de mieux comprendre les enjeux de ces luttes. [...]
[...] En effet, c'est bien souvent du fait des multiples guerres que les consciences nationales se sont formées. Ainsi, comme l'indique Donna R. Gabaccia dans Italy's Global Diasporas, In both [world] wars, countries like Germany, Italy and the United States depended on soldiers to fight for the nations that few had acknowledged as their homelands 100 years earlier. In the aftermath of each war, old empires collapsed and the number of nation states increased. Despite intermittent efforts to form new multinational organizations [ ] nation states had become the single most important determinants of human experience worldwide”. [...]
[...] [ ] Un ukrainien de troisième génération au Kazakhstan, qui ne connaissait d'autre langue que le russe, était tout de même compté comme ukrainien Ceci faussant évidemment les résultats des recensements De même, les démographes ont-ils souvent fait jouer les concepts de langue maternelle et de langue de la nationalité titulaire, afin d'obtenir des statistiques plus proches de leurs objectifs : par exemple, l'Ukraine utilise ces questions afin de minimiser l'importance de la langue russe et de l'ethnie russe mais surtout d'éviter qu'une parité entre les russophones et les ukrainophones d'émerge statistiquement, malgré le fait que 50% des Ukrainiens parlent russe à la maison, Il serait ainsi difficile de croire, aujourd'hui, que les statistiques issues des recensements des républiques post soviétiques soient tout à fait exactes et reflètent l'existence de nationalismes. En effet, il est très facile pour un pays, de dissimuler l'existence de minorités ou même de majorités ethniques grâce à l'appareil statistique officiel, qui demeure extrêmement subjectif en l'absence de norme internationale respectée par tous. Ainsi, les pays entravent fortement, voire faussent le processus de possible reconnaissance de minorités ethniques. Mais les mouvements nationalistes ne tentent-ils pas, aussi, d'influencer l'appareil statistique ? B . [...]
[...] De même, certains avancent l'idée que l'absence de prise en compte des différents migrants dans les recensements post soviétiques les fausse aussi. Par ailleurs, il ne faut oublier que la Russie post soviétique ne reconnaît dans ses recensements que les nationalités qu'elle désire reconnaître, étant donné qu'elle prépare à l'avance des listes de nationalités reconnues (128 en en 1994 et 176 en 2000), ce qui conduit évidemment à négliger des nations indésirables tels que les Cosaques ; dans une correspondance officielle adressée à l'Académie russe des sciences, l'Institut d'ethnographie affirme qu'il n'y a aucune base scientifique permettant de considérer les Cosaques comme un peuple à part entière. [...]
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