Lorsque Kant, dans son opuscule Sur un prétendu droit de mentir par l'humanité, dénie à tout être humain le droit de mentir, il fait valoir que l'exigence absolue et universelle de véracité – dire la vérité telle qu'on la croit – est l'une des conditions rendant possible le rapport humain. Ce faisant, il s'inscrit en faux contre la thèse de Benjamin Constant, qui considère au contraire dans son ouvrage Des réactions en politique qu'aucune société n'est possible sans le mensonge. On voit bien ici que la problématique du mensonge et de la vérité est au cœur du domaine politique : d'un côté, la position kantienne conduit à bannir toute forme de mensonge de la vie politique, domaine des rapports humains s'il en est, et de l'autre, la position plus réaliste de Constant conduit à accepter le mensonge dans la vie politique, en tant qu'il est inévitable de composer avec la vérité lorsqu'on exerce le pouvoir. Pourtant, la question du droit de mentir en politique ne se pose pas exclusivement en ces termes. Dans son article « Vérité et politique » issu de La crise de la culture, Hannah Arendt considère la politique comme un domaine bien particulier, et juge la position défendue par Kant comme celle du philosophe retiré du monde, plus préoccupé par ce qui fait l'essence de l'être humain – en l'occurrence, le fait de ne pas se mentir – que par l'essence du politique. C'est précisément cette spécificité du politique qui lui fait dire que « les mensonges ont toujours été considérés comme nécessaires et légitimes » pour les hommes d'Etat dans l'exercice de leur fonction. Dans cette optique, la politique est un champ d'action dont les responsables, élus ou désignés par les citoyens, rompent tous les jours le lien de confiance induit par le rapport entre représentants et représentés en mentant. Ce mensonge peut revêtir plusieurs formes : le mensonge par suppression, qui consiste à omettre volontairement toute une partie de la réalité, le mensonge par addition, qui vise à inventer purement et simplement, et le mensonge par déformation.
Aussi, se poser la question d'un droit de mentir pour les hommes politiques – que l'on entend au sens plus large de responsables politiques – revient à se demander pourquoi une telle acception de la politique a-t-elle pu s'imposer, mais aussi à s'interroger sur les limites de la légitimité d'une telle vision. La réflexion portera plus particulièrement sur le mensonge des hommes politiques en régime démocratique, en mettant de côté les régimes autoritaires, car les hommes politiques en régime autoritaire sont plus souvent des gouvernants que des représentants : la problématique du lien de confiance ne se pose alors même pas.
Dire systématiquement la vérité est un comportement qui n'entre pas dans le champ du politique. En effet, la politique est le terrain des opinions et du discours et non celui de la vérité, et ce qui fait la spécificité du domaine politique est justement que les frontières entre opinion et vérité se brouillent ; de plus, la structure du pouvoir en démocratie conduit au mensonge. Toutefois, si certains mensonges sont tolérables et même nécessaires en politique, d'autres sont proprement inacceptables : mentir peut servir l'intérêt général ou participer de l'inévitable compétition politique, ce qui n'est pas le cas des mensonges servant l'intérêt particulier de l'homme politique et de certains mensonges de convenance qui ne sont en rien nécessaires.
[...] La logique de communication dans laquelle se trouve le pouvoir politique est un autre trait structurel de la démocratie qui tend à rendre inévitable le mensonge des représentants. Dans un régime démocratique, qui revient en fait le plus souvent au gouvernement des plus capables cooptés par la majorité, les représentants doivent se faire élire. Pour cela, il faut réussir à plaire à ses électeurs. Le mensonge démocratique, perpétré par tous les candidats à toutes sortes d'élections, consiste ici à taire le fait que le pouvoir fait l'objet d'une ambition de la part des hommes politiques. [...]
[...] C'est précisément cette spécificité du politique qui lui fait dire que les mensonges ont toujours été considérés comme nécessaires et légitimes pour les hommes d'Etat dans l'exercice de leur fonction. Dans cette optique, la politique est un champ d'action dont les responsables, élus ou désignés par les citoyens, rompent tous les jours le lien de confiance induit par le rapport entre représentants et représentés en mentant. Ce mensonge peut revêtir plusieurs formes : le mensonge par suppression, qui consiste à omettre volontairement toute une partie de la réalité, le mensonge par addition, qui vise à inventer purement et simplement, et le mensonge par déformation. [...]
[...] On peut même aller plus loin en affirmant que la structure du pouvoir politique conduit au mensonge. Cela est vrai en démocratie comme dans tout régime politique, si l'on suit Alain Etchegoyen : dans La démocratie malade du mensonge, l'auteur fait valoir que la démocratie qualifie avant tout le mode d'élection des dirigeants, c'est à dire une partie infime du politique. Une très large majorité des pratiques du pouvoir en démocratie ne sont pas spécifiques à ce type de régime : la délégation, les nominations, l'administration La spécificité de la démocratie par rapport aux autres régimes étant que le mode de désignation des représentants légitime le politique dans son ensemble. [...]
[...] En outre, la politique n'est pas le terrain de la vérité de fait mais celui de l'opinion, et l'opinion se distingue de la vérité précisément parce qu'elle exprime une opinion, un avis. Toute action ou revendication politique se fonde sur une vision particulière, normative de la gestion de la cité ; dans un régime démocratique et parlementaire, l'éventail des opinions sur la façon de conduire les affaires est représenté par des partis politiques. Chaque parti politique a sa doctrine, une coalition de partis gouvernera selon des principes qui seront un composé de ces doctrines, pondéré par le poids électoral respectif des partis auxquels elles se rattachent, et éventuellement modifié par le programme électoral qui aura permis à cette coalition de l'emporter. [...]
[...] Pour en définir les contours, Alain Etchegoyen écrit : En tant que nécessité, c'est-à-dire en tant qu'il participe à l'essence même du politique, le mensonge peut être implicitement admis. En tant que tromperie, le mensonge contredit une vérité démocratique dès lors qu'il s'oppose à l'intérêt des citoyens. C'est bien cela qui rend inacceptable le mensonge de l'homme politique : quand il sert ses intérêts propres, et qu'il est en contradiction avec celui des représentés. La corruption en est l'exemple le plus flagrant. [...]
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