"Où y a t-il de meilleurs hommes que ceux que l'on peut voir ici ? C'est vraiment la renaissance d'une nation obtenue par l'élevage délibéré d'un homme nouveau". C'est dans ces termes qu'Adolf Hitler s'exprima le 7 septembre 1937 . La rhétorique du "nouveau" va en effet envahir les discours des dirigeants nazis qui se présentent, dès leur entrée au gouvernement en janvier 1933, comme les vecteurs du changement historique d'une Allemagne en proie à la décadence.
L'idée de la création d'un "homme nouveau", c'est-à-dire d'un être appartenant à l'humanité et en rupture avec son propre passé ou le passé historique, est loin d'être innovante en 1933. C'est d'abord un concept d'origine chrétienne développé dans l'Evangile selon St Jean puis dans la doctrine de St Paul qui oppose le "vieil homme", déchu, dominé par ses passions et rongé par ses pêchés, et "l'homme nouveau", régénéré par sa foi dans le Christ. De plus, l'idée que l'homme puisse évoluer et devenir autre que ce qu'il est par nature et, plus encore, que l'on puisse le changer, est une idée très récente qui date des temps modernes. La Révolution française a, si l'on veut, inauguré un mouvement laïque de refonte de l'homme, où l'utopie devient anticipation puis mise en pratique.
Loin d'être une invention du nazisme donc, l'idée d'un "homme nouveau" n'est même pas propre au nazisme, puisque c'est un concept qui est utilisé par tous les fascismes européens de l'entre-deux guerres, ainsi que par le communisme. Plus encore, cette notion est généralement associée au fascisme italien, Mussolini ayant été le premier à utiliser ce concept dans ses discours en 1917, mais ayant aussi le plus exploité ce concept dans sa propagande. La figure collective de "l'homme nouveau" régénéré, un idéal-type dévoué au régime, moralement et physiquement irréprochable symboliserait alors plus généralement la société utopique de tous les totalitarismes. Un régime qui modèlerait la société pour créer "l'Un à partir du multiple" selon Hannah Arendt et éliminerait l'individualité pour créer l'être collectif .
La définition de "l'homme nouveau" nazi, ses particularités et sa place dans l'idéologie et le programme politique nazi restent difficiles à cerner. Le nazisme est la doctrine du national socialisme allemand dont les origines intellectuelles remontent au XIXème siècle même si il ne prend une forme politique clairement défini qu'avec la création du parti national-socialiste en 1920. Or cette doctrine semple bien moins utiliser la rhétorique de l'homme nouveau que le fascisme par exemple, en raison notamment des contradictions qui existent entre l'idéologie nazie et le concept d'homme nouveau, contradictions qu'il semble fondamental d'étudier dans le sens où l'idéologie est souvent considérée comme la force motrice du nazisme. La place de cette notion dans le programme politique nazi, en vue de réaliser un objectif politique déterminé, est également dure à déterminer. Nous choisirons ici d'envisager le mot programme comme les mesures prévues par les nazis, de la création du NSDAP en 1920 à la débâcle de 1945, les idées que l'on avait prévues comme devant être mise en pratique. Cela inclut donc le programme du parti nazi en 1920, mais aussi les mesures non-annoncées, ou annoncée implicitement par la doctrine nazi, notamment dans Mein Kamph. Il semble d'un côté que l'on puisse rattacher, a posteriori, de nombreuses actions concrètes du nazisme à une volonté de création d'un "homme nouveau". Toutefois dire que l'homme nouveau est au cœur du programme politique nazi, c'est affirmer que la ligne directrice du régime et sa raison d'être étaient de transformer par des mesures concrètes, l'utopie de l'homme nouveau en une réalité. On en vient alors à faire de l'idéologie nazie un programme, et donc à adopter une vision programmatiste de l'histoire du nazisme.
"L'homme nouveau" est-il au cœur du programme politique nazi ? En d'autres termes, la création d'un "homme nouveau" était-elle l'objectif premier du régime nazi et le but de toutes ses politiques ?
[...] Points Kershaw Ian, Que-ce-que le nazisme ? [...]
[...] Si la définition de "l'homme nouveau" reste ambiguë en rapport avec l'idéologie nazie, il faut néanmoins examiner les retombées pratiques de ce concept dans le programme politique nazi et les politiques mises en place pour le mettre en œuvre. La volonté de créer un homme nouveau se situe tout d'abord dans l'entreprise de standardisation des individus, obtenus par un contrôle absolu sur ceux-ci. La nécessité de rétablissement des relations d'autorités et le besoin des hommes d'un tuteur et d'une tutelle est ainsi un des leitmotive des régimes totalitaires, dans lesquels on peut ranger le nazisme La société allemande de l'entre-deux-guerres se trouve être un matériau de choix pour cette entreprise, représentative de ce qu'Hannah Arendt appellera dans les Origines du Totalitarisme "L'homme de masse Européen"[8]. [...]
[...] Un deuxième pilier fondamental du nazisme qui va à l'encontre de l'idée même "d'homme nouveau" est la valeur fondamentale donnée au passé par le nazisme. Cette dimension donnée au passé ne concerne pas seulement la promotion des valeurs traditionnelles comme la soumission à l'autorité, la valorisation de la famille, ou la mise en avant de la virilité masculine, mais aussi une admiration pour le passé historique. On peut donner en exemple la mise en avant de l'Antiquité grecque et romaine, mais aussi la valorisation d'un glorieux passé germanique qui représentait, à l'origine, un temps de la force, et de la pureté avant que la décadence ne fasse son œuvre. [...]
[...] L'Homme nouveau se trouve alors être un symbole utile recouvrant une grande part des thématiques présentes dans cette société en mal de vivre qu'il s'agit de séduire. L'Homme nouveau est tout d'abord une bonne représentation de l'avenir, un homme à la fois coupé d'un passé que l'on dénonce et rétablissant les vraies valeurs pour lesquelles les Allemands peuvent être fiers. L'Homme nouveau n'est donc pas seulement un modèle, un idéal-type auquel l'on veut donner réalité, il est le miroir embellissant d'une société qui se sent flouée, d'un peuple que l'on met sur un piédestal et à qui l'on présente un avenir radieux. [...]
[...] Le peuple allemand serait alors en mesure de reconstruire sa culture supérieure originelle et la politique deviendrait ainsi le moteur d'une histoire créatrice. Cette nécessité du changement et l'aspect providentiel de l'arrivée des nazis au pouvoir se justifiaient également par le "roman de la décadence", un terme de Philippe Burrin[4], écrit par la doctrine national-socialiste. En effet, malgré l'admiration pour le passé et l'aspect réactionnaire de la doctrine nazie, on opérait une sélection rigoureuse des objets d'admiration dans l'histoire. Il existait ainsi une histoire de la décadence du peuple allemand, qui prenait ses racines dans le christianisme, d'imprégnation judaïque et donc responsable de l'abaissement de la race aryenne, et se poursuivait jusqu'à la période récente avec quelques phases d'embellie, comme le Saint-Empire romain germanique ou la Prusse de Frédéric II. [...]
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