Aujourd'hui le politique est sommé de dire l'histoire. Au niveau national comme à l'échelon local, son rôle est d'arbitrer entre des communautés de mémoires qui s'affrontent dans le registre de la désignation de l'Autre comme seul responsable des atrocités commises. À l'encontre d'une telle conception du métier d'élu, qui parait pourtant loin d'être fossilée, l'histoire n'appartient ni au politique, ni aux groupes sociaux qui s'affrontent pour faire officialiser leurs souvenirs. L'écriture de l'histoire relève essentiellement des historiens, c'est-à-dire d'un corps de professionnels rémunérés par la société pour contribuer à éclairer sur son passé.
Il est normal qu'après les grands événements historiques, l'histoire commence à prendre la relève de la simple historiographie sans attendre la disparition complète des acteurs et témoins. Ainsi, cela peut poser des problèmes puisque ceux-ci sont encore vivants. En effet, la plupart des historiens universitaires ont longtemps considéré cette guerre comme relevant de l' « histoire immédiate », c'est-à-dire du journalisme.
Trois obstacles, à leur avis, empêchaient d'en écrire une histoire scientifique : le manque de sources, notamment d'archives publiques ; l'absence du recul historique nécessaire pour situer les événements par rapport à leurs causes et à leurs conséquences ; enfin, l'impossibilité d'atteindre à un jugement impartial et serein sur des faits passionnément vécus. Ces objections expriment une conception élevée du travail de l'historien, consistant à construire une interprétation parfaite et définitive à partir de sources exhaustives. Mais c'est un idéal utopique.
[...] Depuis les années 1960, des autonomismes régionaux se sont affirmés, et le modèle de l'assimilation républicaine n'a plus la même efficacité. L'enracinement, non prévu, des populations nord-africaines et africaines dans une situation de chômage structurel et de ghettoïsation des banlieues est perçu en fonction de cet héritage, au regard de ce que Pascal Blanchard a mis en lumière dans La fracture coloniale. Il est non moins vrai que les immigrés, algériens surtout, ont longtemps cultivé le mythe du retour et adhéré à un nationalisme qui n'a pas facilité leur adaptation en France, sans permettre non plus leur réinsertion là-bas. [...]
[...] On sollicite les historiens dans les médias, on les appelle en tant qu'experts à la barre des tribunaux. Les hommes politiques font appel à eux pour qu'ils donnent leur vision du monde. Dans les années 1970, c'était l'intellectuel engagé, le sociologue qui jouait cette fonction, aujourd'hui on s'adresse aux historiens. Finalement, l'historien serait-il un juge garant de la paix ? En réalité, il n'est pas un juge de paix de la réconciliation mémorielle, puisqu'il a lui-même ses propres engagements ; il n'est pas au-dessus de la mêlée. [...]
[...] Les historiens saisis par les groupes porteurs de mémoire i. Engagement des historiens On ne peut considérer que les historiens soient des gardiens de temple. L'histoire ne peut pas être séparée des enjeux politiques ; ainsi cette vision s'inscrit-elle dans la tradition d'un Jules Michelet, au 19e siècle, un historien engagé qui ne se contentait pas de réclamer le droit d'établir la vérité scientifique sur les évènements. Plus récemment, on peut citer des historiens comme Pierre Vidal-Naquet et Jean-Pierre Vernant, tous deux disparus l'année dernière. [...]
[...] Pierre Nora l'a lui-même dit, selon lui, elle s'apparenterait aujourd'hui à un phénomène religieux qui porte aux nues le témoin : J'avais autrefois évoqué une tyrannie de la mémoire ; il faudrait aujourd'hui parler de son terrorisme. Si bien qu'on est moins sensible à la souffrance qu'elle exprime qu'à la violence par laquelle elle veut se faire entendre. B. Les historiens et la loi du 23 février 2005 La loi du 23 février 2005 est venue rappeler aux historiens le poids des usages et mésusages publics de leur discipline. Elle leur rappelle les tensions entre la vocation scientifique et la fonction sociale. [...]
[...] Il y a certainement eu dans le mouvement contre la loi une convergence entre les inquiétudes des chercheurs et des enseignants et une protestation morale contre le discrédit de la classe politique, une réponse aux risques de dérives populistes. Il faut ajouter les réactions de l'Etat algérien, au moment où se négocie un traité d'amitié et de paix, ont mis dans l'embarras le ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, qui a pris l'initiative en 2003 d'une proposition de loi préparant celle de 2005. Il en a donc appelé à une commission composée à la fois d'historiens français et d'historiens algériens. [...]
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