Depuis une dizaine d'années sont votées régulièrement et de manière croissante des lois qui semblent empiéter sur le terrain des historiens. La dernière en date a été adoptée le jeudi 12 octobre 2006 et complète la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien, en pénalisant la négation de ce génocide par une amende de 45 000 euros et par un an d'emprisonnement. Si dans la sphère politique, ce genre de législation choque peu de monde (les groupes parlementaires PS, PC, UMP et UDF ont voté pour ce projet de loi), il en est tout autrement au sein des historiens, et plus généralement des intellectuels et juristes. En effet, le droit positif dans notre démocratie sert à dicter des normes, et les lois se doivent de fixer des obligations et des droits, au nom de la volonté générale. La vérité juridique s'inscrit dans le présent, dans le contexte d'un procès et ne saurait être confondue avec la vérité historique. De plus, l'historien occupe une place particulière dans notre société. Il effectue ses recherches au nom de la recherche de la vérité, étudie des faits et propose des thèses quant aux causes de ces évènements. Personne ne détient la vérité historique et l'historien, qui mène avant tout des travaux de recherches, mais qui peut aussi enseigner dans le secondaire comme dans le supérieur, a pour mission d'élaborer des hypothèses en s'appuyant sur des preuves. Cependant, avec la juridicisation croissante de faits historiques et l'apparition de notions telles que le génocide et le crime contre l'humanité, on peut se demander de quelle liberté l'historien dispose vis à vis de ses recherches et de ses théories, et s'il se heurte à des limites juridiques. Nous verrons tout d'abord que l'historien est appréhendé avant tout en cette qualité par le droit qui lui reconnaît des libertés, mais lui impose des principes d'ordre moral. Puis nous verrons que sa liberté de recherche est toute relative face aux diverses lois mémorielles, qu'elles soient purement déclaratoires ou qu'elles comportent des éléments normatifs.
[...] D'autre part la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 a été modifiée par la loi du 16 décembre 1992, et l'article 24 bis stipule à présent qu'il est condamnable de tenir des propos négationnistes dans un journal, à la radio, etc. L'historien est alors plus facilement attaquable si certaines de ses thèses sont interprétées comme telles. De plus, cela apporte un risque d'instrumentalisation des recherches. Un collectif d'intellectuels et d'historiens français a d'ailleurs réagi à la multiplication de ce genre de loi car ils se sentent muselés. Ils fustigent le fait que le droit énonce des vérités historiques et leur indique dans quelle direction ils doivent mener leurs recherches. [...]
[...] En effet, si un programme est établi au niveau national, le Conseil Constitutionnel a reconnu à plusieurs reprises le droit à la libre expression et à l'indépendance des professeurs, a fortiori les professeurs d'université (Conseil Constitutionnel 83-165 DC et 93-322 DC). Toutefois, la liberté de l'historien est restreinte suivant le principe de prudence et de responsabilité, puisqu'il participe à la formation de la mémoire collective. Même si la subjectivité fait partie intégrante du travail de l'historien, elle ne doit pas l'écarter de la recherche de la vérité. [...]
[...] La sphère juridique et la sphère de la recherche historique se rencontrent plus souvent. C'est le fait de l'adoption de lois purement mémorielles, à l'instar de celle du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide arménien, ou de lois mémorielles introduisant un élément normatif via une commémoration ou la reconnaissance de faits comme crimes contre l'humanité (par exemple, la loi Taubira du 21 mai 2001 qui définit la traite et l'esclavage comme des crimes contre l'humanité). L'historien est a priori libre de traiter de ces sujets sans que cela ne change sa démarche scientifique étant donné que ces lois sont purement déclaratives, néanmoins il est comme sur des charbons ardents. [...]
[...] Les historiens brandissent d'autant plus le spectre des régimes totalitaires et de la liberté confisquée, que l'an dernier, un projet de loi indiquait de quelle manière les historiens enseignants devaient appréhender les effets de la colonisation française sur les peuples colonisés. La menace d'une histoire dictée par le droit s'était matérialisée un peu plus encore. S'en suivirent de nombreux débats et l'alinéa de l'article 4 qui était au centre des discussions a finalement été déclassé et a désormais un caractère réglementaire. Bibliographie Jean Carbonnier, Le silence et la gloire, recueil Dalloz. [...]
[...] En effet, l'historien doit dans cette situation redoubler de vigilance, alors que s'il abonde dans le sens de l'opinion commune, peu d'attention est portée à la diversité des sources. Cette présomption de vérité lui semble injuste envers l'historien plus critique. D'autre part, sa méthode de recherche doit être rigoureuse dans le sens où un oubli pourrait lui être reproché. Cette question était au centre de l'affaire Branly, car selon les articles 1382 et 1383 du Code Civil, un dommage peut être causé par une action ou par une abstention. Des réparations peuvent être exigées en cas d'omission, que celle-ci soit volontaire ou non. [...]
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