Ce phénomène n'est pas sans lien avec la crise mondiale des idéologies collectives. Et avec la crise du politique, au sens large. La chute du mur de Berlin en 1989 et l'effondrement de l'Union soviétique, en 1991, ont provoqué une remise en question du marxisme et à la suite des idéologies nées dans le processus de décolonisation, comme le tiers-mondisme et le nationalisme arabe ; ces deux idéologies étaient très en vogue encore dans les années 1970-1980.
Cette crise du politique a plongé progressivement les individus dans les refuges de la sphère privée, dans le vécu, donc dans la mémoire. Face à l'absence de grand projet politique mobilisateur, on a assisté à un repli dans des communautés religieuses, culturelles, ou ethniques. En quinze ans, les notions de classes ou d'engagement politique se sont diluées au profit de logiques de groupe. On assiste à une sorte de « tribalisation » du politique ; chacun a tendance à se définir par son origine ou sa communauté.
L'effet principal de cette remise en question est le développement, partout dans le monde, de phénomènes de mémoire.
La dépolitisation nourrit les enfermements identitaires et religieux. Même si l'espoir d'une démocratie politique et le désir de justice sociale n'ont pas disparu. L'Afrique du Sud avec l'exigence de justice au sortir du régime d'apartheid a marqué une sorte de coup d'envoi mémoriel au niveau mondial. Un basculement central de l'histoire avec une forme de décolonisation associant l'ancienne minorité dominante que représentent les Blancs.
Par exemple, à l'Est à la suite de l'effondrement du bloc communiste, l'émergence de demandes mémorielles en Russie, en Pologne ou en Allemagne de l'Est avec l'ouverture des archives de la Stasi est devenue de plus en plus forte. Nous sommes entrés dans une sorte de « judiciarisation » de l'histoire, au plan mondial. Les États ne pourront pas échapper éternellement à leur propre passé, à ce qu'ils ont pu commettre comme exactions.
Mais l'établissement de la justice et de la vérité historique va-t-il servir à réconcilier des mémoires ou, au contraire, freiner ce processus ? Il est très difficile de prédire la réponse.
L'espace public français est régulièrement secoué par des revendications mémorielles de groupes pluriels relatifs à la guerre d'Algérie. Ces mouvements peuvent entraîner des conséquences fâcheuses, ce qui a été le cas lors du débat sur la loi du 23 février 2005. En effet, celle-ci a beaucoup porté préjudice aux intérêts de l'Etat français. Un traité d'amitié entre le France et l'Algérie se préparait de longue date et était en passe d'être signé mais l'Etat algérien a refusé face à cette « tentative de réhabilitation du passé colonial ».
[...] Henry Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Points Seuil p.11. En effet, la hausse des revendications mémorielles n'est pas un cas propre à la France, il n'y a qu'à voir le traitement du passé en Europe de l'est. Guerre d'Algérie, jour qui ne fait pas date in Libération, le 18 septembre 2003. Loi n°99-882 du 18 octobre 1999 relative à la substitution, à l'expression aux opérations effectuées en Afrique du Nord de l'expression à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc Henri Alleg (dir.), La guerre d'Algérie, Paris : Temps actuels p. [...]
[...] Toutes deux ont obtenu gains de cause auprès du Parlement qui a voté des lois mémorielles. Néanmoins, la question coloniale demeure toujours aussi sensible. Au cœur de la transmission de l'histoire coloniale, l'Algérie est centrale pour de multiples raisons : la présence française dans ce pays pendant près d'un siècle et demi, la succession de trois ou quatre générations d'Européens de 1830 à 1962 traumatisés par la perte de leur terre natale, le rôle important des troupes supplétives et l'arrivée d'une importante immigration algérienne en métropole des années 1930 aux années 1970 Des millions de personnes se sentent toujours concernés par cette guerre d'Algérie qui a fait d'innombrables victimes. [...]
[...] Il s'agit d'un groupe de mémoire très organisé, réuni autour de plusieurs associations (Fédération nationale des anciens combattants d'Algérie Fnaca Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre Arac Union nationale des combattants) a joué un rôle décisif dans les débats parlementaires. Mais ce cloisonnement des mémoires se ressent aussi très fortement dans la production de livres. Pendant les années 1970, la grande majorité des publications est assurée par d'anciens soldats de l'armée française, par des nostalgiques ou des pieds-noirs meurtris. [...]
[...] Néanmoins, il ne faut pas oublier que chacune de ces notions ne se construit pas de la même façon et leurs fonctions sont également différentes. L'histoire implique un caractère scientifique et se soumet aux exigences que cela induit, alors que la mémoire n'est absolument pas tenue de coller aux principes qui régissent l'histoire. L'élaboration des mémoires se fait par des souvenirs mais aussi par des oublis. Par exemple, les événements de 1934 restent très vifs dans la mémoire des juifs de Constantine puisqu'ils furent molestés, par contre, les événements de 1956 sont très souvent relégués lorsque les rôles sont inversés et que ce sont les musulmans qui font les frais des représailles de la part des juifs. [...]
[...] La guerre d'Algérie finie, il n'y a pas de réconciliation possible. Chaque groupe porteur d'une mémoire spécifique veut aller voir son film, revivre ses propres engagements ou espérances de l'événement encore proche. Ainsi, les anticolonialistes français allaient voir RAS, ou Avoir 20 ans dans les Aurès ; le cinéma algérien cultivait l'héroïsme ; les pieds- noirs pleuraient devant Le coup de sirocco et les militaires avaient une préférence pour L'honneur d'un capitaine. Ces films intéressent des publics différents qui ne se mêlent pas. [...]
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