Suffisamment rare pour être remarqué, il semble exister un consensus intellectuel autour de la question de l'individu : c'est à la modernité que l'on doit sa naissance. Tandis que la philosophie politique ancienne s'interrogeait sur la question du meilleur régime et de la vie bonne, la philosophie politique moderne, s'est concentrée sur l'individu agissant, mû par son seul désir de conservation. Décrit notamment par Leo Strauss, ce passage de l'ancien au moderne a non seulement fait disparaître les questions premières et simples des philosophes politiques grecs, mais il est également responsable d'un relativisme généralisé et d'un historicisme dangereux, instituant l'individu moderne calculateur comme étalon de mesure à l'aune duquel nous nous évertuons à comprendre le politique. Sous la forme d'une révolution anthropologique pour Marcel Gauchet, d'un nouvel idéal d'authenticité pour Charles Taylor, d'une quête d'autoréalisation de soi pour Gilles Lipovetsky, la société moderne est une société d'individus. Entité autonome, incarnation d'une volonté singulière comme d'une humanité universelle, l'individu en quête de liberté incarne la modernité. La philosophie politique, la sociologie, la science politique, toutes s'accordent sur ce postulat.
Les conclusions néanmoins sont divergentes, négatives pour les uns – l'anomie, la démocratie gangrenée –, enthousiasmantes pour les autres – autonomie, liberté, progrès, contre le groupe oppressant. Or le cadre proposé de la « démocratie contemporaine », que l'on peut interpréter comme la démocratie libérale, pluraliste et post-totalitaire, nous oblige à réfléchir l'individu et le groupe ensemble. Seule la démocratie permet le développement d'un individualisme, soit l'affirmation première des libertés individuelles, tout en étant le cadre de vie des acteurs collectifs. Au sens large, l'acteur peut être individuel (l'individu) ou collectif (le groupe, sous-ensemble de la société), il est le personnage politique, en interaction avec d'autres, interaction dont la science politique détaille la nature. La démocratie contemporaine suppose la liberté permettant l'épanouissement de l'individu mais aussi l'expression égalitaire des groupes. En somme, elle est le seul régime à permettre la coexistence pacifique de l'un et de l'autre ; non pas qu'il y ait absence de conflit – sans quoi, n'y aurait-il pas absence de politique ? –, mais que leur résolution est possible dans un cadre limitant la violence. À cela s'ajoute la caractéristique essentielle de l'individu en démocratie, soit d'être la source de délégation du pouvoir. Les groupes sont la médiation nécessaire pour que l'individu fasse valoir ce pouvoir. La réalisation de l'individu démocratique, c'est sa vie collective comme possibilité d'action politique. C'est en se constituant en groupes que les individus assument leur intérêt privé et négocient avec l'intérêt général : il n'y a pas de primauté de l'un sur l'autre, mais transaction, interaction. Nous nous trouvons là devant un point nodal : trivialement, il y eut d'un côté, une conception holiste, et de l'autre, une conception individualiste des questions politiques. Chacune tire stérilement dans un sens, et le nœud se resserre : dans quelle mesure peut on penser le groupe et les individus pour comprendre les possibilités du vivre-ensemble et de l'agir en démocratie ? Peut-on interpréter l'action collective comme un jeu d'échanges entre les acteurs individuels et collectifs ou doit-on se contenter d'une alternative exclusive avec comme horizon le conflit d'intérêt, entre général et particulier ?
Pour desserrer le nœud, tentons donc de mettre en évidence les lieux de rencontre entre individus et groupes, pour saisir le mouvement pluriel et conflictuel de l'individu dans le groupe et du groupe dans l'individu. Pour cela, il s'agira tout d'abord d'envisager la coopération, c'est-à-dire l'agir ensemble comme un jeu à somme positive, l'individu au service du groupe et réciproquement. Il sera question de l'action collective et de l'opinion publique. À l'inverse, il sera ensuite nécessaire de comprendre le conflit comme nature possible de l'interaction individus/groupe : à travers les partis politiques ou la représentation, nous questionnerons l'aliénation potentielle de l'individu au nom du vivre-ensemble démocratique. Enfin, et à la lumière des deux analyses précédentes, il sera opportun d'envisager la négociation, plus précisément la rencontre de l'individu et du groupe au sein même des individus. La distinction individu / citoyen et les problèmes du vote nous permettront de mettre en évidence les transactions, conscientes ou non, entre l'adhérence à soi et les traces du groupe.
[...] Entre l'individu et le groupe se forme ainsi une fructueuse collaboration. Néanmoins se dessine les critiques classiques formulées contre l'opinion publique : c'est une croyance entretenue par des agents qui ont intérêt à ce qu'elle existe, l'effet d'entraînement des sondages fausse la démocratie. Plus intéressante est la critique de Robert Lynd et Herbert Blumer qui dénonce le postulat que chacun a une opinion. L'individu n'est pas isolé et intrinsèquement rationnel, il est membre de groupes qui s'expriment à travers lui. [...]
[...] On trouve là également un motif conflictuel d'interaction entre les individus et les groupes, l'aliénation de l'agent, au nom même de la démocratie. Par la représentation, on autorise quelqu'un à agir à notre place. Par le renoncement à la démocratie directe, apparaît une triple aliénation de l'individu. Aliénation juridique, puisque la souveraineté du peuple n'émerge que lorsque celui-ci en est dépossédé ; aliénation philosophique car la volonté de regrouper peut sembler contraire à la modernité politique ; aliénation sociale, enfin, qui correspond à la dépossession des représentés par une élite monopolistique de l'expression des intérêts. [...]
[...] Admettons les possibilités de collaboration mais tentons de comprendre les éléments du groupe aliénant l'individu, autour de la représentation et des partis politiques. Les partis politiques sont des éléments essentiels de la démocratie contemporaine. Ils répondent à la nécessité de connexion entre la société et le politique, et à exprimer le pluralisme, constitutif d'une société moderne. Ils sont l'intermédiaire entre l'individuel et le collectif, et occupent donc la place fort inconfortable de médiation, d'entre-deux entre le particulier et le public. [...]
[...] Il sera question de l'action collective et de l'opinion publique. À l'inverse, il sera ensuite nécessaire de comprendre le conflit comme nature possible de l'interaction individus/groupe : à travers les partis politiques ou la représentation, nous questionnerons l'aliénation potentielle de l'individu au nom du vivre-ensemble démocratique. Enfin, et à la lumière des deux analyses précédentes, il sera opportun d'envisager la négociation, plus précisément la rencontre de l'individu et du groupe au sein même des individus. La distinction individu / citoyen et les problèmes du vote nous permettront de mettre en évidence les transactions, conscientes ou non, entre l'adhérence à soi et les traces du groupe. [...]
[...] Le groupe doit donc peser sur l'individu pour que l'action soit possible. La collaboration entre les individus est fructueuse, c'est par la médiation du groupe que l'on peut inciter les autres à participer. Néanmoins cette approche économiste a tendance à nier le collectif en soi, réduit à la somme des individus qui le compose. Il faut considérer d'autres niveaux de rationalité : ainsi Anthony Oberschall montre la nécessité d'appartenir à des groupes préalables car c'est par eux que la mobilisation est possible. [...]
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