Le 7 mars 2006, Jean Lassalle, député de la 4ème circonscription des Pyrénées-Atlantiques, entame une grève de la faim pour dénoncer la délocalisation d'une usine du groupe Toyal Europ implantée dans son département. Interviewé quelques semaines après la fin de sa grève à propos de la violence de son acte, il déclarait : « Depuis Gandhi, la grève de la faim est classée parmi les actes de non-violence. Ai-je fait du mal à qui que ce soit ? Non. Ai-je interpellé les consciences ? Oui. » Cette réponse révèle les problématiques internes à la notion de grève de la faim, notamment sa relation avec la violence, et sa logique d'exposition à l'opinion publique.
La grève de la faim s'entend comme le refus proclamé par un sujet ou un groupe de s'alimenter dans un but de protestation, de contestation ou de revendication contre la situation dans laquelle il se trouve. Elle prend le plus souvent la forme d'un simple refus d'aliment, le gréviste acceptant de boire de l'eau, et plus rarement d'un refus total d'aliment et de boisson. Il s'agit donc là d'une action protestataire, mais la grève de la faim constitue un retournement complet du mode de pression car il s'agit d'une contrainte exercée sur soi-même. L'enjeu est de responsabiliser l'institution visée en la rendant responsable de la souffrance que s'inflige le gréviste. Par conséquent, comme l'explique Olivier Duhamel, « l'essentiel réside dans le caractère public de l'acte ». Le gréviste de la faim cherche en effet à s'afficher sa à désigner un responsable auprès de l'opinion publique afin que celle-ci pèse sur lui.
L'étude de la grève de la faim comme répertoire d'action collective, pour reprendre l'expression de Charles Tilly, est récente. En effet, la grève de la faim est souvent considéré comme exceptionnelle, parfois même il est explicitement renvoyé à des justifications religieuses plutôt que politiques. Pourtant, une approche historique fait apparaître la profusion des grèves de la faim dans la deuxième moitié du XXème siècle. On peut penser à des cas emblématiques comme les prisonniers de l'IRA au début des années 1980, à ceux du groupe Action Directe en 1987-88, et surtout aux sans-papiers, qui sont un des principaux groupes ayant-recours à la grève de la faim. « Depuis le début des années 70, la grève de la faim semble être à certaines catégories d'acteurs (et notamment aux mouvements et protestations politiques issus de, ou liés à, l'immigration) ce que la grève fut aux mouvements ouvriers du début du siècle », note Johanna Siméant. La faiblesse des études sur ce sujet s'explique sûrement par le fait que la dénomination "grève de la faim" regroupe de multiples façons de "se faire violence" au nom de violences déjà subies. Cependant, une étude du phénomène dans sa globalité doit se baser sur les critères communs à toute action se revendiquant comme « grève de la faim ». C'est l'approche que nous retiendrons ici.
La grève de la faim repose ainsi sur une mise à l'épreuve physique de sa propre personne pouvant aller jusqu'à la mort. Elle semble alors une des formes d'action collective les plus dangereuses et les plus difficiles à mener. Pourtant, les dernières décennies ont vu une multiplication de ces actions. On peut donc se poser la question suivante : quels sont alors les ressorts du choix de la grève de la faim comme forme d'action protestataire?
Nous verrons dans une première partie que la grève de la faim manifeste une double dénonciation, de la souffrance vécue mais aussi des responsables désignés. Mais dans une deuxième partie, nous montrerons qu'elle est aussi un répertoire d'action collective qui vise à déclencher un face-à-face stratégique avec les gouvernants pour faire triompher une cause.
[...] Le gréviste les met en équivalence avec sa souffrance endurée Une double remontrance morale adressée aux pouvoirs publics : La grève de la faim expose le corps comme vitrine dans un but précis. C'est une interpellation morale et non physique ou économique : le gréviste n'a pas de force marchande à poser comme enjeu. Damien Lecarpentier montre que deux souffrances sont exprimées : la dénonciation d'une injustice, mais aussi l'appel à la reconnaissance d'une parole légitime ignorée. La forme de la grève de la faim est alors un moyen d'authentifier à la fois l'injustice et le mépris dont sont victimes les grévistes. [...]
[...] Elle se caractérise en effet par une dichotomie entre la vulnérabilité de la forme d'action et son efficacité potentielle au travers d'un face-à-face stratégique avec les gouvernants. A. La grève de la faim comme répertoire d'action : une forme d'action vulnérable, mais qui ouvre le champ à l'action des protagonistes concernés : 1. Une forme d'action vulnérable : Jacques Roux parle d'une forme d'action vulnérable et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, la grève de la faim est fondée sur la radicalité, la rupture de sens par rapport au quotidien. Elle vaut pour son extrémisme, sa radicalité. [...]
[...] Roux parle de remontrance adressée aux gouvernants. La grève de la faim est donc un acte authentifiant et dénonçant. Par la violence faite à soi-même, le gréviste témoigne de l'injustice qu'il subit, et tente de reconquérir une identité et un statut politique. Mais ce faisant il adresse aussi une double remontrance aux pouvoirs publics, désignés comme responsables de sa situation et du danger auquel il s'expose. C'est d'ailleurs au cœur de cette logique de dénonciation qu'apparaît le second aspect de la grève de la faim. [...]
[...] DUHAMEL, Esquisse d'une typologie des grèves de la faim in : La grève de la faim, ou le dérèglement du sacré (collectif), Economica, Paris T. GRANGER, Une stratégie de l'IRA : la lutte en prison (1971- 1981) Vingtième siècle, vol 70, pp. 19- D. LECARPENTIER, Cesser de s'alimenter pour contraindre une autorité : la grève de la faim comme pratique protestataire in : Cahiers d'économie et sociologie rurales, nº J.ROUX, Mettre son corps en cause : la grève de la faim, une forme d'engagement public in : J. [...]
[...] La grève de la faim n'est pas une pratique instantanée : elle laisse le temps aux acteurs de réagir et d'y mettre terme. C'est donc une forme d'action dramatisée, mais qui ne tend pas vers la radicalité extrême : la mort n'est pas immédiate. C'est davantage une menace, un compte à rebours visant à stimuler le débat et ainsi à trouver des solutions. B. Un face-à-face stratégique avec les responsables désignés face au juge de l'opinion : 1. Une lutte symbolique et stratégique : Le gréviste souffre nécessairement d'un discrédit a priori : il doit faire la preuve de sa volonté et de sa détermination d'aller jusqu'au bout. [...]
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