La défense vigoureuse en France de certains services publics gratuits montre combien des aspects fondamentaux de l'Etat-providence sont menacés. Paradoxalement, le secteur privé semble aller à contre sens en proposant aux consommateurs toujours plus de biens et de services gratuits, ce dont la prolifération de journaux gratuits n'est qu'une illustration parmi d'autres.
La gratuité, caractère de ce qu'on s'affranchit de payer, apparaît dès lors comme une notion floue dont les enjeux méritent d'être détaillés. A l'heure de la société de consommation, la gratuité apparaît comme une exception bienvenue. Néanmoins, le terme à connotation négative d' « acte gratuit », qui a donné celui de « violence gratuite », invite à s'interroger sur de possibles abus de la gratuité. Au fond, s'affranchit-on vraiment de ce qui est gratuit sans jamais payer d'une manière ou d'une autre ce qui a été consommé ?
[...] Le capitalisme a bien compris que la gratuité est de nature à engendrer des dépenses non escomptées. Difficile en effet aujourd'hui de ne pas remarquer les offres promotionnelles diverses proposées par la grande distribution notamment, mettant en avant la gratuité d'un article, mais toujours bien sûr sous conditions. L'immense pouvoir attractif de la gratuité est pour le consommateur l'arbre qui cache la forêt, l'amenant parfois à dépenser finalement plus que ce qu'il avait prévu de faire initialement pour le distributeur. [...]
[...] C'est là évidemment tout le principe des cartes de fidélité en vigueur dans la grande distribution. La réflexion mène finalement au constat amer que l'on finit toujours par payer d'une manière ou d'une autre ce qui a été consommé. La gratuité est un leurre, une diversion. Il est d'ailleurs significatif de voir que ce terme de diversion a la même origine latine divertere que divertissement lequel est un bon exemple de gratuité financée par la publicité (dans le cas des chaînes de télévision et des radios privées). [...]
[...] Le consommateur n'est bien sûr pas dupe lorsqu'il s'agit de la gratuité d'un service non public, mais l'attrait est grand. C'est en tout cas ce que montrent les statistiques de la presse qui montrent le repli des journaux traditionnels face au succès croissant des gratuits Cette importance du gratuit privé aujourd'hui a pour conséquence de banaliser la gratuité, et par là même, ses abus, tout en renforçant la demande en matière de service public gratuit, à l'heure où l'Etat à la recherche d'économies se serait bien passé de cet engouement. [...]
[...] La culture étant par définition fortement ancrée dans les esprits, la logique capitaliste n'a pas d'influence lorsqu'il est question d'une gratuité coutumière concernant tel ou tel service. Mais la culture n'est pas tout, même si elle est parfois (comme c'est le cas pour une partie du service public français) la conséquence d'une revendication de la gratuité. L'Etat providence a en effet fait sien le principe de gratuité. Cette décision avait pour fondement de garantir les services principaux fournis par l'Etat à ses citoyens. [...]
[...] L'existence d'abus potentiels est en effet une des dérives de la gratuité. Les expressions d' acte gratuit de parole gratuite ou encore de violence gratuite montrent bien que dans certains cas l'adjectif gratuit n'a rien de positif. Son caractère péjoratif s'explique par l'absence de raison, de fondement, de sens de cet acte. L'acte gratuit, c'est au fond celui de Lafcadio, héros des Caves du Vatican d'André Gide, décidant de jeter Amédée Fleurissoir hors du train si une lumière vient à percer la nuit dans les quinze secondes suivant cette macabre décision, dénuée de tout mobile rationnel. [...]
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