La tradition canadienne en matière d'évaluation de politiques remonte au début des années soixante-dix. Dès la fin de cette décennie, des unités d'évaluation sont présentes dans chaque ministère et le principe est posé selon lequel, sur un cycle de cinq ans, toutes les politiques doivent être évaluées. Le bureau du Contrôleur général du Canada (BCGC) coiffe la fonction : il définit les standards méthodologiques, est partie prenante aux nominations de cadres chargés de la fonction, gère la formation des évaluateurs, etc. Les fonctionnaires des unités d'évaluation sont des employés des divers ministères et non pas du BCGC.
[...] La situation est un équilibre. Tout au plus a-t-on insisté sur le fait que l'élaboration de solutions de rechange détaillées distinctes des étalons méthodologiques n'était pas vraiment du ressort des évaluateurs, qu'elle requérait des ressources beaucoup plus importantes que celles mises à leur disposition, que personne sauf des personnages qualifiés enfants de chœur ou de croisés n'attendait qu'ils se livrent à pareille besogne. Par exemple, l'évaluation de la classification aux archives nationales ne mentionne même pas les possibilités de sous-traiter ou de privatiser une partie des activités concernées. [...]
[...] Le paradoxe n'est qu'apparent : la seule raison valable de mobiliser les ressources requises pour une évaluation en profondeur d'une politique importante (et probablement la seule circonstance dans laquelle on peut y parvenir) est lorsque des changements substantiels deviennent vraiment envisageables. Jouer à évaluer lorsque ces conditions ne sont pas réunies revient à s'accrocher à la foi de travailler pour la postérité ou aux délices du jeu des perles de verre. Pour des chercheurs ayant choisi le domaine le plus directement en prise sur l'action, c'est là que serait la vraie défaite. [...]
[...] Force est de reconnaître que le système d'incitations qui encadre les évaluations étudiées ici est singulièrement asymétrique. Les autorités fonctionnelles de l'évaluation exercent leur autorité presque entièrement par l'exhortation, la codification et la formation; elles ne réalisent pas de jugement sur les évaluations, elles ne participent pas à l'évaluation des évaluateurs (sauf, partiellement, lors de la nomination de certains cadres dans ce domaine). Au contraire, les gestionnaires ministériels détiennent et exercent les pouvoirs susceptibles d'affecter la carrière des évaluateurs, pour ne rien dire du chiffre d'affaires de consultants «indociles». [...]
[...] En outre, il est présomptueux d'attendre de l'évaluation qu'elle «révèle», qu'elle constitue à elle seule le moteur de changements significatifs. Par conséquent, l'utilisation d'études d'évaluations managériales comme celles observées est parfaitement légitime et utile; des évaluations en profondeur, quant à elles, doivent être ponctuelles et opportunistes, avec des ressources et des perspectives dépassant substantiellement le cadre d'un ministère et celles des équipes traditionnelles d'évaluation. En effet, ce type d'évaluation exige une substantielle dose d'analyse politique, une capacité à identifier et promouvoir les fenêtres d'opportunité, et des capacités de formulation de politiques (solutions de rechange) dépassant souvent les compétences classiques en évaluation aussi bien que leur cadrage institutionnel. [...]
[...] Ces coûts sont attribuables à des phénomènes humains et organisationnels le plus souvent impossibles à quantifier et délicats à contrôler. L'existence de ces risques oblige paradoxalement les évaluateurs désirant un mandat ferme pour explorer à fond des solutions de rechange, à offrir une analyse convaincante faisant apparaître que ces problèmes sont contrôlables et ce, évidemment, avant qu'on leur accorde toutes les ressources requises pour le démontrer! Vues sous un autre angle, l'ensemble des conditions pour qu'une évaluation soit utile aux gestionnaires ministériels sauf dans les cas où des changements structurels ou de mise au pas d'une direction ou sous- direction ont été prédécédés se traduisent par des évaluations bien encadrées, dans une perspective strictement managériale visant, par exemple, l'élimination du gaspillage administratif et la prévention des problèmes potentiels avec la clientèle. [...]
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