Le 29 octobre 2004 a été signé à Rome un Traité « Etablissant une Constitution pour l'Europe » destiné à se substituer au traité instituant la Communauté européenne et au traité sur l'Union européenne. Pour que le nouveau traité entre en vigueur, il est convenu qu'il soit ratifié par les 25 actuels pays membres de l'Union européenne. Certains ont procédé par la voie parlementaire, d'autres, à l'instar de l'Espagne (le 20 février 2005), par voie référendaire. S'agissant de la France, la première question qui s'est posée a été celle de la révision de sa Constitution. Saisi par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a en effet jugé le 19 novembre 2004 que la ratification du traité ne pouvait se faire sans réviser préalablement la Constitution. La révision s'imposait à deux égards : l'attribution de nouvelles compétences « régaliennes » à l'Union ou la modification des conditions d'exercice actuelles de telles compétences ; la mise en œuvre des nouvelles prérogatives attribuées par le traité aux Parlements nationaux. Cette révision a été accomplie par voie parlementaire le 28 février 2005 . La révision promulguée le 1er mars 2005 a levé les obstacles à la ratification identifiés par le Conseil constitutionnel. A ce stade, la ratification par la France pouvait à son tour prendre la voie parlementaire ou la voie référendaire. C'est cette seconde option qu'a retenue le Président de la République. Ce fut le dixième référendum national organisé sous la Vè République (en comptant celui du 28 septembre 1958, approuvant la Constitution de la Vè République). Comme il ressort d'une déclaration faite le 4 mars 2005 par Jacques Chirac , la date du scrutin a été fixée au dimanche 29 mai 2005 (sauf en Polynésie française et dans les collectivités territoriales françaises d'Amérique où il aura lieu le samedi). Les règles relatives à l'organisation du scrutin et à la campagne référendaire ont été arrêtées lors du Conseil des ministres du 17 mars 2005. En application du deuxième alinéa de l'article 11 de la Constitution, le référendum a fait l'objet d'une déclaration gouvernementale suivie d'un débat le 5 avril à l'Assemblée nationale et le lendemain au Sénat. En cas de réponse négative au référendum, la France ne pourra pas ratifier le traité qui, en conséquence, n'entrera pas en vigueur.
Et tel fut le cas. Le référendum du 29 mai 2005 fut le troisième référendum négatif de l'histoire politique française, après ceux du 5 mai 1946 (rejet d'un projet de constitution pour la IVè république) et du 27 avril 1969 (rejet d'un projet de loi constitutionnelle transformant le Sénat et instituant la régionalisation). Ce fut en même temps le premier référendum portant sur la construction européenne dans son ensemble. Le référendum du 23 avril 1972 portait sur l'adhésion de la Grande Bretagne, de l'Irlande et du Danemark, mais c'est plus l'opportunité de cette adhésion que le principe même de la construction européenne qui était en cause. Celui du 20 septembre 1992 avait pour objet d'autoriser la ratification du traité de Maastricht dont la poutre maîtresse était de lancer le processus de l'Union européenne et sa première application, la monnaie unique. Mais c'est le TECE qui, remplaçant et codifiant tous les traités antérieurs, permet d'avoir cette vue d'ensemble. D'ailleurs, la campagne électorale française pour le référendum sur la constitution européenne n'a pas de précédent en termes d'instabilité des intentions de vote. Largement en tête jusqu'à début mars, le Oui a perdu 12 points d'intention de vote en quinze jours. S'en est suivie une séquence d'un mois, jusqu'à mi-avril, où le Non avait pris l'avantage. A la faveur d'une campagne médiatiquement très active des partisans du Oui, ce dernier est repassé en tête, porté par la mobilisation de l'électorat UMP-UDF. Cette dynamique favorable au Oui n'a duré que deux semaines. S'appuyant sur un argumentaire qui porte davantage de l'opinion, le Non a de nouveau grignoté son retard, pour aborder en tête la dernière ligne droite. Le résultat final ne trompe pas : 54.68 % des électeurs ont voté Non. Alors, certes l'interprétation des résultats d'un référendum demeure délicate, la question posée étant presque toujours double. Il s'agit à la fois d'approuver le projet soumis à l'approbation populaire et de manifester sa confiance à celui qui pose la question, à savoir le Chef de l'Etat.
Limiter notre sujet à la France du non ne nous permettrait pas de bien comprendre cette négation à l'Europe. S'il n'y avait qu'un seul Non, les constructeurs européens seraient sans doute bien moins secoués par ce résultat inattendu. La pluralité du Non ne fait aucun doute, transformant notre sujet en « France des Non ».
Dès lors, en quoi les non français, sortant d'une torpeur politique des plus longues ont-ils marqué la rupture avec le laisser-aller passé ?
Nous verrons dans un premier temps quel fut le grignotage du Non aux principes européens depuis le traité de Maastricht pour mettre en avant l'inquiétude patente et consciente des peuples européens.
[...] Que le Oui ait été majoritaire chez les personnes de plus de soixante-cinq ans et minoritaire chez les 18-35 ans est la traduction électorale la plus cinglante qui soit, de la situation démographique de la France. En fait, le contraire aurait été étonnant. Que le TECE ait été plus populaire dans les classes âgées plus que sur les campus universitaires est bien l'un des paradoxes les plus étonnants du référendum. A entendre les commentaires des politiques dès le soir du référendum, on était en droit de douter du sujet sur lequel le vote avait porté. [...]
[...] L'Europe ne leur paraît pas être le fourrier de la mondialisation mais au contraire en limiter les excès. Les socialistes du Non sont beaucoup plus fermes dans leur attitude. Leur degré de critique envers la mondialisation, leur opposition au libéralisme et aux privatisations est massive. Pour eux, l'Union européenne n'est pas un objet sacré au-dessus des affrontements. Elle leur paraît accélérer les effets négatifs de la mondialisation. Les socialistes du Non préfèrent le maintien des politiques nationales à la mise en place de politiques européennes, qui pourraient susciter trop de remises en question. [...]
[...] Cette rupture a pour conséquence un fossé grandissant entre classes moyennes et classes supérieures. Ces dernières, patrons ou professions libérales, plus proches de la droite, avaient voté nettement Non à Maastricht, dans une logique d'opposition au pouvoir socialiste. En 2005, la même logique politique conduit les élites du privé à voter massivement Oui. Aucun retournement politique de ce type n'est perceptible chez les classes moyennes du privé. Comme l'avait révélé l'élection présidentielle, elles s'opposent aujourd'hui tout autant à la droite de gouvernement qu'à la gauche de gouvernement, murées dans l'abstention ou la protestation. [...]
[...] sondage Ipsos-Le Figaro Interview au journal Le Monde du 5 juin 2005. Georges Berthu, L'Europe sans les peuples, Editions François-Xavier de Guibert page 60. On a pu le vérifier encore à la fin de l'année 2005, où les français ont montré leur incompréhension à l'égard d'une procédure européenne de fixation des taux de TVA qui empêche chaque pays de choisir son niveau de prélèvement, alors même qu'il ne nuit pas à ses voisins. des sondés se déclaraient hostiles à l'entrée de la Turquie à l'automne 2004. [...]
[...] Cette concurrence est un autre aspect du clivage non plus simplement social mais également politique et territorial entre les élites du pays et l'ensemble des classes moyennes. Elle est le symptôme d'une anxiété devant l'avenir qui n'épargne plus personne et produit la topographie du vote : éclats de oui dans un océan de non. Des clivages imprévisibles par les constructeurs Un vote de rupture et réfléchi Depuis ses débuts, la construction européenne a été soutenue par les partis du centre, centre droit (démocratie chrétienne et indépendants) et centre gauche (radicaux et socialistes), avec deux figures emblématiques : Robert Schuman et Jean Monnet. [...]
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