«Une puissance invisible, qui sans trésors, sans garde et sans armée, donne des lois à la ville, à la cour, et jusque dans les palais des rois…Un tribunal où tous les hommes qui attirent sur eux les regards sont obligés de comparaître; là, l'opinion publique, comme du haut d'un trône, décerne des prix et des couronnes, fait et défait des réputations ». Necker
Par ces mots, le ministre Necker donne une définition imagée d'un phénomène nouveau pour son époque, celui de l'opinion publique. De fait, il semble possible de lier son origine à la contestation du système absolutiste en France et surtout à l'émergence du concept de démocratie qui place l'individu-citoyen en son cœur. Il faut alors que cet acteur politique central soit informé, qu'il puisse ensuite s'exprimer: donner son opinion et qu'elle soit rendue publique. Une définition à la fois moderne et large de l'opinion pourrait être un ensemble d'idées partagées par un groupe social, permettant alors de définir l'opinion publique en tant que manière de penser la plus répandue dans la société, en d'autres termes, c'est l'opinion de la majorité du corps social. Aujourd'hui ce terme est très largement employé par les médias et le personnel politique, pas un jour ne se passe sans que des enquêtes ne révèlent ce que pense l'opinion publique de tel ou tel sujet (de l'image renvoyé par un candidat à la magistrature suprême, à la perception d'une grève en passant par les enjeux de sociétés comme les OGM ou l'euthanasie).
Ses moindres variations sur un même sujet, mesurées par des enquêtes et des sondages, sont soumises à analyse, disséquées, entraînant des réactions quasi immédiates de la part des agents concernés, souvent les hommes politiques. Aussi il est possible d'y voir un nouveau déclencheur dans l'action et la prise de décision des hommes politiques, jusque là motivées par le verdict des urnes, dans une conception toute traditionnelle de la démocratie représentative. (Expression et publicité de la volonté des citoyens connue par la consultation électorale). Ce nouvel élément pose alors question et introduit l'hypothèse raisonnable de l'émergence d'une démocratie d'opinion que l'on pourrait définir en tant que système d'organisation du pouvoir politique, dans lequel les décisions sont prises conformément aux désirs présumés de la majorité des citoyens.
Ne doit-on voir dans l'appellation de démocratie d'opinion que le terme sociologique de la démocratie représentative ou y a t'il une opposition dans les concepts? Il peut aussi paraître paradoxal d'adjoindre le terme de d'opinion à celui de démocratie, si l'on considère que l'essence de la démocratie est la pluralité des opinions et le fondement de la décision politique la volonté (opinion?) de la majorité des citoyens.
Aussi plus largement nous nous demanderons si la place grandissante des moyens qui permettent de prendre en compte l'opinion des gouvernés hors des moments d'élection, est de nature à remettre en cause la nature de notre démocratie (jusqu'ici considérée comme représentative).
S'il est tentant de donner crédit à l'évolution de notre démocratie, passant d'un système régulé par la représentation à celui régulé par l'opinion, il apparaît cependant que les structures de la démocratie demeurent avant tout représentatives.
[...] Enfin, il semble important de ne pas enterrer trop rapidement le rôle des partis politiques, principale articulation de la démocratie représentative. Pour David Apter dans The politics of Modernization, le partis politiques ont pour fonction primaire de structurer l'opinion publique, de mesurer ses attitudes et de le transmettre aux responsables gouvernementaux . Ainsi, on peut dire que les partis politiques et ce que l'on regroupera sous le terme de quatrième pouvoir sont en concurrence, puisqu'ils exercent les mêmes fonctions (sur la base de la définition précédente). [...]
[...] ) on semble se rapprocher d'une démocratie directe. Une relation directe s'établit entre gouvernés et gouvernants, et la capacité qu'a le peuple de sanctionner virtuellement le gouvernant lorsqu'il prend une décision peut s'apparenter à un mandat impératif.(variation de la cote de popularité et de l'indice de satisfaction quand des décisions sont prises.) Cependant, le sondage ne fait pas pour autant l'élection, ni ne dicte à proprement parler l'action politique d'un gouvernement. Aussi, serait-il possible de voir, avec l'émergence de ces nouveaux moyens de consultation des citoyens, un auxiliaire de la démocratie représentative, capable de cerner avec plus de précision les attentes de la population, mais qui ne se concrétiseraient qu'à l'issu d'un processus représentatif.( élection, élaboration de la loi, discussion, vote, application). [...]
[...] On se rapproche alors d'une forme de démocratie directe. Certains penseurs à l'image de James Bryce au XIXè développaient une analyse assez radicale, faisant de la démocratie d'opinion la seule démocratie véritable, son principal atout était qu'elle permettait de connaître la volonté de la majorité à tout instant, sans avoir besoin de passer par l'intermédiaire d'une assemblée représentative. Parce que, pour une part notre démocratie française donne les moyens de l'expression directe, la capacité de récolter les informations, et de sonder les citoyens hors des instances politiques institutionnelles et du jeu des représentations, notre démocratie s'apparente à une démocratie d'opinion. [...]
[...] Le constat est voisin concernant les partis politiques. Ces derniers seraient, selon certaines théories, consubstantiels à la démocratie représentative. La constitution française précise que les partis concourent à l'expression des suffrages, ils sont les organes intermédiaires chargés de recueillir et de structurer les volontés qui émanent du peuple, et missionner pour adresser des critiques à ceux qui exercent le pouvoir. Or, à l'image des syndicats, les partis politiques seraient en crise, ne comptant qu'un nombre relativement restreint d'adhérents, ( adhérents pour le PS et bientôt pour l'UMP), auquel viendrait s'ajouter le climat de défiance envers la classe politique en général. [...]
[...] On peut penser aux grèves, manifestations, actes symboliques comme une occupation d'usine . Tous ces actes, avant tout symboliques, sont légitimes (pour ceux qui les entreprennent), parce qu'ils permettraient de faire pression sur le pouvoir, en montrant hors du contexte des élections, l'état d'esprit d'une partie de la population, voire de la majorité, si ces mouvements spectaculaires gagnent le soutien de l'opinion majoritaire (opinion publique). A ce propos, il faut noter que cette caractéristique, (s'exprimer hors cadre du gouvernement), fait parti d'un des quatre critères que Manin donne d'un gouvernement représentatif. [...]
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