« Comprendre que les sociétés africaines sont « comme les autres », penser leur banalité et, singulièrement, leur banalité politique : voilà ce qu'un d'africanisme n'a guère facilité en dépit de la masse considérable de connaissances qu'il a engrangées ».
Tel commence ainsi l'introduction de l'ouvrage de Jean-François Bayart, L'Etat en Afrique – La politique du ventre. Cette première considération laisse à penser qu'étudier les institutions des Etats africains, leur fonctionnement, ne va pas d'elle-même et rompt avec une certaine façon de penser Occidentale.
Directeur du CERI (Centre d'Etudes et de Recherche internationale) de 1994 à 2000 et directeur de Critique Internationale de 1998 à 2003, actuellement chercheur au CNRS, Jean-François Bayart s'est imposé comme un spécialiste en politique comparée et particulièrement sur les questions africaines. Son ouvrage L'Etat en Afrique, la politique du ventre permet de comprendre l'existence d'Etats africains, loin de nos concepts étatique occident dit wébérien ; il permet de comprendre comment les Etats africains se sont appropriés un pouvoir politique que l'on a parfois bien du mal à entrevoir. Complémentaires de part leurs objets études, Jean-François Bayart collabore couramment avec Béatrice Hibou, politologue au CERI. Ils ont notamment co-écrit un ouvrage intitulé La criminalisation de l'Etat en Afrique, éd. Complexe/CERI, Paris, 1997. L'ouvrage de Béatrice Hibou sur lequel nous nous attarderons ici est La privatisation des Etats, Karthala, Paris, 1999.
Si c'est deux ouvrages méritent une attention particulière dans le cadre de la théorie politique c'est, d'une part, en raison de leur objet qui est une recherche de l'existence de réels Etats en Afrique (nous verrons de quelle façon ils procèdent lors du développement), et d'autre part, leur positionnement allant à l'encontre les théories développementalistes et dépendantistes et par extension contre les présupposés culturalistes – qui se refusent à voir en l'Afrique l'existence de formes étatiques viables – , mais aussi avec les idées reçues sur la globalisation et l'uniformisation. En effet, les auteurs partisans d'une vision « négative » de l'Etat en Afrique (Piotr Dutkiewiez, Gavin Williams, Richard Sandbrook, etc) ne manquent pas d'arguments pour qualifier cette absence d'Etat : faiblesse de l'appareil politico-administratif, les politiques erronées, l'économie extravertie et la chute des revenus, les désastres écologiques, la dégénérescence des mœurs par la corruption et le despotisme, etc. Tout laisse à croire que l'Etat en Afrique n'est qu'une vaste coquille vide dans la vie de tous les jours de ses citoyens. Et ce, bien que répondant largement aux critères juridiques définissant tout Etat (un territoire, une population, un gouvernement souverain et reconnu par la communauté internationale) – c'est donc bien que la problématique se situe à un autre niveau.
Si l'Etat Occidental constitue une référence pour bon nombre d'individus (professionnels de la politique ou autres), peut-on envisager d'autres formes étatiques à l'instar des Etats africains ? Comment concevoir et définir un Etat lorsque ses institutions apparaissent, au premier abord, comme vidées de leurs substances, délaissées (en tout ou partie) à des entreprises privées ou emprises dans des systèmes de corruption ? L'importance de l'historicité des Etats africains (I) permet de comprendre comment les hommes de pouvoir se sont appropriés les institutions post-coloniales et en faire une gouvernementalité à part entière, une « African Way of Politics », pour reprendre les termes de J-F Bayart (II).
[...] Ainsi, dans ces travaux furent pris en compte des États décharges B.Hibou utilise ce terme pour désigner une modalité d'exercice du pouvoir évitant un coût d'un appareil administratif important, n'entraînant pas forcément l'absence, le désengagement de l'État ou d'un gouvernement (cf. supra : la France sous l'Ancien Régime). De plus, les travaux de Foucault sur la notion de pouvoir permettent une meilleure compréhension de l'existence de multiples formes de gouvernance. B. Hibou nous offre alors une explication très claire de la lecture qu'en fait J-F Bayart : la gouvernementalité désigne une configuration ou une séquence historique donnée ( ) dont on entend analyser le gouvernement comme mode de structuration du champ d'action des individus ou des groupes 35). [...]
[...] La pertinence de la mobilisation démocratique en Europe de l'Est, en Argentine ou au Brésil n'a jamais été mise en doute sous prétexte que les Polonais sont antisémites les Argentins machos et les Brésiliens indolents C'est pourtant ce que l'on fait quotidiennement au sujet de l'Afrique sub-saharienne en faisant implicitement rimer multipartisme et cannibalisme Bayart, 1991). Cette citation met clairement en évidence la façon dont l'Afrique est traitée comme un objet à part en ce qui concerne les études sur le politique. En effet, le problème des affinités ou des contradictions entre les représentations autochtones du politique et l'exigence libérale occidentale ne peut pas se comprendre uniquement en des termes culturels comme tente de le montrer J.F Bayart dans L'État en Afrique. [...]
[...] La comptabilité nationale n'enregistre ni le volume, ni les valeurs des exportations, ni les recettes fiscales et douanières. L'administration, bien que privatisée sur tous ces points énoncés : les fonctionnaires, pour recevoir leur traitement, doivent avoir recours au bakchich et pour utiliser leur ligne budgétaire un ministre doit payer. Cela montre bien la dépendance mutuelle existante et la présence continue de l'État sur son territoire, même de manière indirecte. L'existence d'un African Way of Politics Pour comprendre l'existence d'un African Way of Politics Béatrice Hibou propose quatre points, présentés aussi dans un sens de réponses aux critiques de cette théorie : Tout d'abord, pour comprendre l'État il faut comprendre les gens au pouvoir, leurs jeux, leurs stratégies et pratique historique. [...]
[...] Ce phénomène de gouvernement indirect privé se retrouve aussi dans l'Empire Ottoman comme l'explique par la suite Béatrice Hibou. Une historicité forte en explication dans les actuels processus de privatisation en Afrique De la même façon que ce gouvernement indirect privé sous l'Ancien Régime a permis de comprendre certains modes de gouvernementalité, il en est ainsi pour les États africains post-coloniaux. Selon le degré et les modalités de mobilisation des allégeances par le pouvoir central, les États se sont construits leur propre système de gouvernement Béatrice Hibou expose de nombreux exemples pour comprendre concrètement ce phénomène lié à l'histoire et réellement spécifique à une histoire particulière (Tunisie, Maroc, Algérie et Afrique subsaharienne). [...]
[...] Inversement, elles peuvent symboliser une véritable tentative de rupture avec l'ordre précédent. Mais elles peuvent également être informelles, voire sauvages, capturées par des réseaux parallèles ou être utilisées comme lieu et moyen de blanchiment d'argent sale, permettant ainsi une diffusion du principe de privatisation à l'ensemble de l'économie et du pouvoir central : elles révèlent alors une modification des modes de gouvernement 63 de La privatisation des États). [...]
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