Un mythe national, dans le sens où l'on comprend généralement ce mot, est un fait historique d'importance fondamentale pour une nation : grande bataille, fondation d'une cité, révolution, etc. Or d'après une édition récente du Petit Robert, un mythe est au contraire un « récit fabuleux, transmis par tradition, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine », une « représentation de faits ou de personnages souvent réels déformés ou amplifiés par l'imagination collective ou une longue tradition littéraire », et, par extension, une « pure construction de l'esprit », une « affabulation ».
Cette définition, appliquée à ce qu'il est courant d'appeler les « mythes nationaux », suggère deux choses. D'une part, que les mythes nationaux ont, de la même manière que les mythes antiques ou primitifs, une vertu didactique. Ils seraient les vecteurs de certaines valeurs communes à un groupe. D'autre part, que les mythes nationaux sont – au moins partiellement - des fictions, des créations humaines et politiques.
Cela peut sembler paradoxal dans la mesure où un mythe national se base sur des faits historiques, positifs. Mais la « déconstruction » des mythes nationaux, avec les outils de la sociologie, révèle que ces faits historiques récupérés par le mythe ont fait l'objet d'une interprétation qui les dénature, en leur accordant par exemple une portée ou une signification excessive au regard des faits historiques – dénaturation qui s'avère politiquement porteuse de sens et, dans certains cas, dangereuse. Si, comme nous le verrons, les mythes nationaux répondent à une certaine « utilité » politique, il s'agit ensuite de s'interroger sur leur pertinence à l'heure actuelle. Les mythes nationaux sont-ils encore « nécessaires », répondent-ils encore à un « besoin », doivent-ils être perpétués, à l'heure de la construction européenne et de la montée des communautarismes ?
[...] Une solution serait de les replacer dans une Histoire mondiale, européenne ou binationale. Dans l'entre-deux-guerres, Verdun était une grande victoire : depuis quelques décennies, c'est un lieu de mémoire franco-allemand Le souvenir de la bataille n'a pas perdu son caractère évocatoire ou patriotique, mais il intègre désormais l'altérité : les Allemands ne sont plus perçus comme des envahisseurs, mais comme les dépositaires d'un souvenir commun ; le mythe a été désamorcé Les mythes ont deux versants. On peut choisir de ne les considérer que comme des fictions : inutiles, voire nuisibles, inspirés par des charlatans plus ou moins avides de pouvoir. [...]
[...] La France de la IIIe République avait une mission civilisatrice les Américains une destinée manifeste. - Enfin, pour relier les glorieux ancêtres avec les citoyens du présent, le mythe doit établir une continuité fictive entre le passé et le présent. Le manuel d'Histoire Petit Lavisse qui fut le manuel de la IIIe République, commence par la célèbre phrase Autrefois, notre pays s'appelait la Gaule et ses habitants les Gaulois. La France moderne serait donc malgré les invasions romaine puis franque, sarrasine, allemande, etc. [...]
[...] On pourrait citer d'autres mythes, non pas historiques, mais civiques ou libéraux, qui font un quasi-consensus dans notre pays : le mythe de l'égalité des droits, rarement appliquée ; le mythe du contrat social, qui fonde le rejet des privilèges . Tous participent du vouloir vivre ensemble qu'est la nation française, et conditionnent ou devraient conditionner sa politique. Aux morales particulières (religieuse, notamment), facteurs d'aliénation, de communautarisme et de conflit, la République propose ainsi des mythes citoyens : remis en question par les idéologues ethnicistes des Indigènes de la République ils n'en demeurent pas moins consensuels. Qu'en est-il des mythes nationaux d'ordre historique ? Comment peut-on les désamorcer ? [...]
[...] Suzanne Citron quitte le domaine de la science pour entrer dans celui du jugement moral et de la repentance dont les lois mémorielles sont le symptôme. Ces lois, qui visent originellement à rendre plus objectif l'enseignement ou la transmission de l'Histoire (par exemple en criminalisant le négationnisme, ou en s'assurant que l'esclavagisme soit enseigné), ne font en fait que la juger, la commenter. Or juger des faits souvent très lointains, sans rapport avec les problèmes d'aujourd'hui, c'est une forme de haine de soi. [...]
[...] Mussolini voulait recréer l'Empire romain (les jeunes rejoignaient les Fils de la Louve en référence à la légende de la fondation de Rome) ; Hitler, revenir à une Germanie fantasmée ; Ceaucescu pratiquait un national-communisme qui tranchait avec les politiques de ses voisins est-européens ; enfin, à l'occasion de la Grande guerre patriotique Staline n'a pas hésité à rompre avec l'idéal internationaliste de la révolution bolchevique, en célébrant le passé médiéval de la Russie. Dans tous les cas, cette récupération des mythes nationaux vise deux objectifs. D'une part, légitimer le régime. Célébrer la nation, c'est en effet célébrer le régime politique qui prétend la représenter. En France, la fête nationale est aussi la fête de la République. Remettre en question la nation, c'est remettre en question la République ; d'où l'intérêt des mythes des croyances ayant un caractère sacrer, quoique laïque, pour s'assurer le soutien du citoyen au régime. [...]
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