Comme Rome après la destruction de Carthage, les démocraties occidentales ont perdu leur dernier adversaire avec l'effondrement du monde soviétique. A l'instar de Francis Fukuyama qui, au cours d'une conférence, assimilait la démocratie à la fin de l'histoire, nombre de penseurs se sont alors empressés de conclure en la victoire de la démocratie libérale sur l'Etat socialiste et sur toutes formes de « sociétés fermées ». Mais cette victoire ne constituait pas uniquement un triomphe par défaut de la démocratie, par épuisement des modèles alternatifs. Outre l'ouverture des Etats de l'Est, ce dont il s'agissait était perçu comme l'apothéose de l'universel humain incarné par l'universalisation de la démocratie et des droits de l'homme. De la création à La Haye d'une cour pénale internationale, en passant par l'institutionnalisation progressive d'un droit d'ingérence humanitaire au niveau international, le XXe siècle aurait alors été le témoin d'une réconciliation de l'histoire de l'humanité d'avec ses valeurs constitutives, ce que Hegel nommerait son « esprit ». Parce que répandues dans la totalité de l'univers –ou du moins perçues comme telles-, l'humanité aurait formalisé un certain nombre d'idéaux considérés comme estimables et désirables, et à même d'orienter les actions d'une « société mondiale ».
[...] Or, s'il est comme moi, en quoi est-il autre que moi ? Certes, il a nécessairement des points communs avec moi, mais s'il est autre, c'est parce que radicalement il se distingue. Et du fait de cette distinction, il résiste alors à toutes mes tentatives de prise et de représentation, c'est-à-dire d'objectivation. A la différence d'Abraham qui lui part pour ne jamais revenir, Ulysse à l'issue de son odyssée, de ses rencontres, ne cherche qu'à revenir chez lui, revenir en lui. [...]
[...] Comment penser la fierté sans l'altérité de ce qui justement fait émerger ce sentiment ? Bien plus que d'accepter l'autre en tant qu'alter ego, il s'agirait alors de non plus ramener l'autre à un autre soi-même mais bien de le reconnaître en tant qu'irréductiblement autre. A cet égard, la conception de l'altérité selon Levinas peut être particulièrement éclairante pour saisir le possible socle de valeurs universalistes qui ne se heurteraient plus aux travers soit d'une négation absolue de l'altérité, soit d'une confrontation d'avec elle, toutes deux freinant une identification de tous et de chacun à des valeurs communes. [...]
[...] Dès lors, l'idée même de valeur impliquerait son universalisme. Si les valeurs peuvent être relatives à chaque société, à chaque groupe social, au sein de celui-ci, elles y restent un horizon infranchissable, visée normatrice de cet être-ensemble déterminé. Autrement dit, des valeurs universelles supposeraient une réduction de la distance entre la proche communauté affective et le genre humain dans sa totalité. Mais alors, une valeur sans altérité peut-elle encore survivre ? Comment le plus souhaitable peut-il subsister sans ce à quoi il est préféré ? [...]
[...] Les valeurs universelles n'existent pas en tant qu'objet mais que dans le processus de leur affirmation. Œuvrer pour se poser soi-même comme autre apparaît comme la condition d'existence de toute valeur à même de susciter une adhésion universelle. Il s'agit alors non pas de les lister, de les affirmer en tant que telle, mais d'agir pour permettre leur émergence. Fukuyama, Francis, La fin de l'histoire et le dernier homme. Paris, Flammarion Duhamel, Olivier, Le pouvoir politique en France, chapitre VII : "L'extinction du référendum" Rufin, J.C., L'empire et les nouveaux barbares, Lates Derrida, Jacques, L'autre cap, Minuit, 1991. [...]
[...] Autant d'exemples d'une concrétisation progressive de la philosophie kantienne d'un droit cosmopolite, en tant que des hommes et des Etats, dans des conditions d'influence extérieures réciproques, doivent être considérés comme des citoyens d'une cité humaine universelle Indéniablement, nombre de signes témoignent d'une mondialisation des droits de l'homme (Déclaration de 1948, Pactes sur les droits civils et politiques, ainsi que sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966) si bien que l'Etat souverain ne serait plus l'unique propriétaire de sa population. L'individu en tant qu'humain serait le principal référent, source normative tout autant qu'unificateur universel de la société politique internationale en affirmation constante. Seulement, l'humain ne l'est jamais exclusivement. L'être humain est aussi et surtout individu, inséré dans un groupe social aux conceptions du monde spécifiques. [...]
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