Il semble donc que le sujet nous amène à réfléchir sur la définition que nous attachons à la notion d'idéologie, mais surtout à celle de démocratie. C'est là que réside tout l'enjeu de la question : nous interroger sur notre forme de gouvernement et d'organisation sociale, jugée « évidente », pour être capable de la critiquer. Il reste à voir comment l'on peut dépasser la contradiction apparente entre les deux termes de démocratie et d'idéologie, pour voir comment la première s'est construite comme l'autre de la deuxième, avant de voir si le triomphe annoncé de la démocratie libérale dans le monde contemporain n'est pas en train de prendre la forme même du dogme idéologique...
[...] L'on pouvait sans mal opposer un modèle démocratique à ses contraires : régimes autoritaires et totalitaires, qu'ils prétendent ou non à un label démocratique. Mais en 1995, les spécialistes recensaient 118 pays prétendant à ce label et pouvant satisfaire à des critères de définition généralement acceptés du régime démocratique, comme la tenue d'élections libres en particulier. Cette homogénéisation apparente des formes de régime politique fait qu'il est plus difficile aujourd'hui d'opposer la démocratie à ses contraires, d'où un renouveau de la réflexion sur ses critères. [...]
[...] L'antifascisme comme l'anticommunisme ont façonné la conscience démocratique, en soulignant la solidarité de fait des régimes occidentaux. Ils constituaient une double école de vigilance et de clarté . Beaucoup d'outils intellectuels de réflexion du siècle dernier sur la démocratie ont été forgés contre le nazisme d'abord, le stalinisme ensuite. Dans les régimes totalitaires, l'idéologie d'Etat, qui organise toute la vie politique, économique et sociale, est comprise comme un système d'explication du monde à travers lequel l'action politique des hommes a un caractère providentiel, à l'exclusion de toute divinité[6]. [...]
[...] L'argument selon lequel on assisterait aujourd'hui à la fin des idéologies remonte aux années 60, lorsque Daniel Bell[9] prédisait qu'un consensus croissant sur les fins désirables de la politique menait à la fin des idéologies, du moins en Occident. Un nouvel élan a été donné à ce courant de pensée avec la chute du communisme en Europe de l'Est et la fin de la guerre froide. Non seulement les grands conflits idéologiques du siècle viendraient à leur fin, mais tout conflit d'idéologies significatif s'évaporerait dans un consensus général sur la désirabilité de la démocratie libérale. [...]
[...] Le problème avec cette vision est qu'elle apparaît comme elle-même idéologique. Il y a déjà un problème de confusion entre démocratie et démocratie libérale Fukuyama utilise bien ce dernier terme, et il semblerait donc alors annoncer le triomphe du libéralisme, sur lequel on s'accorde pour reconnaître une idéologie. Seulement le libéralisme et la démocratie nous apparaissent dans son argumentation comme indissociables. L'idéologie démocratique, ici, serait celle qui consiste à croire qu'une forme particulière d'incarnation de la démocratie, la démocratie libérale, serait la forme de gouvernement idéale pour tous les peuples. [...]
[...] Si les nations démocratiques ont atteint la démocratie, elles n'auraient pas besoin d'avancer plus loin. C'est la préservation, non le changement, qui apparaît comme leur projet désormais. Les inégalités sociales sont reconnues comme des défauts du système, mais elles ne remettent pas en cause sa supériorité. Un véritable rapport de domination semble alors s'instaurer entre les démocraties et les autres, c'est-à-dire entre les pays occidentaux et les autres. Ainsi, les NU et d'autres organisations ont mis en place des institutions spécifiques pour coordonner et surveiller les activités liées au processus de démocratisation dans certains pays. [...]
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