Traditionnellement, la justice s'incarne dans la représentation symbolique de la balance et du glaive. Autrement dit, elle se veut une double instance d'équilibre et de jugement.
Elle aurait alors pour dessein de soupeser, dans le cadre d'un litige, des conflits, a priori insolubles par les parties en présence, pour arbitrer une fin équitable à chacun d'eux ; mais aussi de trancher entre les deux, en vue d'établir une décision qui satisfasse ceux qui en demanderaient la justification et selon des règles imposées. Ces règles que l'on nomme le droit, émanent des hommes eux-mêmes. Cette logique peut tout aussi bien s'appliquer aux hommes entre eux (dans le cadre d'une justice nationale) qu'entre entités juridiques ou qu'entre Etats : On parlera alors d'une justice supranationale ou internationale.
L'application pratique d'une justice internationale n'est cependant pas aussi lisse que le discours qui la place comme solution nécessaire à la fin des conflits entre les hommes le pourrait faire penser. Pour ce faire, la justice internationale doit dépasser la tension qui existe entre les différents droits établis par chaque nation, c'est à dire trouver une norme internationale qui convienne à tous (ou du moins au plus grand nombre.) Si la justice est, de façon inhérente, une instance qui se place au-dessus des hommes, comment l'incarnation démocratiquement acceptable de cet arbitre pourrait être trouvée sans laisser l'impression d'une création arbitraire ? Pour reprendre une tragédie célèbre, comment résoudre la distorsion qui met en opposition les revendications de la conscience et de la morale individuelle d'Antigone et les exigences de la vie collective, liées à l'efficacité politique, dont Créon se fait le porte-parole ? Autrement dit, quel critère doit-on retenir dans l'élaboration des fondements d'une justice internationale acceptable par une majorité ?
Cette interrogation en soulève alors une autre ; à supposer que l'on puisse parvenir à cette homogénéisation des lois, comment ensuite les rendre effectives ? La question de la construction d'une justice internationale présuppose que, sans son existence, il n'y aurait naturellement pas respect systématique de ce droit. A travers l'instauration d'une justice internationale, les hommes chercheraient alors à se prémunir contre leurs propres manquements. Si la justice est un reflet de cette incapacité de l'homme à être respectueux de ses semblables en toutes occasions, sans la menace d'une sanction, elle est parallèlement le reflet de cette prise de conscience d'un devoir de respect envers autrui. Dans le livre IV de l'Emile, Rousseau avançait l'idée d'« un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d'autrui comme bonnes ou mauvaises » ; il donnait alors à ce principe le nom de conscience. De cette analyse s'ensuit que l'homme est doté de la faculté de porter des jugements à l'endroit d'une direction prescrite par l'idéal ou la raison et que l'on nommera sa conscience morale. Or c'est justement la nature de cette prescription qui pose problème. La justice internationale, comme recours supérieur visant au règne des valeurs énoncées par la Déclaration universelle des droits de l'homme est-elle raisonnable ou idéale? Et, sinon envisageable, souhaitable ? Les hommes se sont-ils dotés d'un mécanisme traduisant une avancée dans le chemin de l'efficacité ou bien s'agit-il d'un horizon (inaccessible ?) qui sert à guider progressivement leurs actions ? : la justice est-elle un alibi de bonne conscience ou un outil aidant l'homme à développer son sens moral ?
Pour affiner l'analyse de cette argumentation, nous nous intéresserons essentiellement à la justice pénale internationale qui juge des violations graves au droit international humanitaire, en tant qu'elle mesure, plus clairement sans doute, les choix qu'ont faits les hommes des différentes nations qui se sont mis sous son autorité.
Ainsi nous discuterons dans un premier temps du réalisme d'une justice internationale comme traduction, en actes, de valeurs qui visent à moraliser les hommes, avant d'interroger le bien fondé de ce critère; autrement dit nous discuterons, dans un second temps, du rôle de la justice internationale et de quel bien, réputé universel, elle serait la plus idoine à garantir théoriquement, dans sa mission de gouvernement des hommes.
[...] C'est ce que Cassese dénonce à travers l'image d'une justice sans jambes ni bras Pour intervenir, les forces armées sont soumises, une fois encore, à la coopération volontaire des Etats. Or il semble que ces mêmes Etats ne se soumettront pas à une justice qui dépasse leur souveraineté nationale tant qu'il n'existera pas de forces capables d'intervenir en toutes occasions. Et qui puissent ainsi mettre un terme à la confusion des interventions contradictoires de l'ONU, de l'OTAN et des forces européennes. [...]
[...] La question d'une justice cosmopolitique rendrait, par définition, l'homme à l'état de citoyen du monde. C'est-à-dire qu'il se trouverait dans un espace sans frontière où ses droits et devoirs seraient les mêmes en tout point. Cette aspiration est restée, au moins depuis Kant, à l'état d'utopie, c'est-à-dire qu'elle n'a trouvé aucun lieu ou moment pour s'exercer. De même que la justice internationale a indéniablement progressé (au sens d'évolution plus que d'amélioration vers un idéal fantasmé) du point de vue, tant de la réflexion que de son institutionnalisation (de la SDN à nos jours), la justice cosmopolitique se fera également par étapes successives. [...]
[...] Si c'est la poursuite du bonheur qui motive les hommes, sans revenir à la définition même de ce concept, on est alors en droit de se demander si la morale n'est pas de toute façon sans effet sur la définition d'une justice internationale, comprise comme dispensatrice de moyens qui n'a pas pour vocation de plier l'homme à une conduite jugée bonne mais, au contraire, de lui permettre de se réaliser comme il le souhaite mais sous certaines réserves. En dernière analyse, citons les réflexions venues défendre la nécessité absolue de persévérer à vouloir introduire une justice internationale. Le droit international est-il alors un conatus plus puissant que les contradictions inhérentes à sa réalisation ? Ou comment penser une meilleure justice internationale ? L'horizon d'attente d'une justice internationale effective se conçoit dans la notion de cosmopolitisme telle que l'a étroitement étudiée J. [...]
[...] Si la justice permet à certaines valeurs éthiques de se réaliser, elle n'est d'aucune manière l'étalon de mesure de la moralité des hommes. Le juste ne correspond pas nécessairement au bien. Une justice cosmopolitique, de ce fait, peut être plus égalitaire sans rendre nécessairement les hommes meilleurs, c'est à dire mieux éduqués à respecter leur prochain. En définitive, si la justice n'est ni morale ni immorale en soi, elle tend à influer sur la moralité des hommes via son pouvoir de dissuasion dont on peut rappeler la définition donnée par R. [...]
[...] Cette interprétation masque alors les avancées décrites plus hautes faites par la justice internationale au cours de l'histoire. Ne peut-on pas envisager l'évolution de la justice nationale vers la justice internationale à l'aune d'une définition plus neutre du terme de progrès ; c'est-à-dire comme simple mouvement d'un point à un autre, sans jugement normatif ? En 1999, le procureur canadien Louise Arbour affirma, devant le TPIY, que la justice internationale (avait) fait plus de progrès au cours (des) 5 dernières années qu'au cours des 50 précédentes De la part d'un juriste, s'agit-il d'une analyse purement humaniste, qui ne prendrait en considération que le caractère éthique de cette avancée ou bien peut-on imaginer que le progrès de la justice internationale repose sur autre chose ? [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture