Les derniers mois de 1992 ont vu paraître la première évaluation réalisée sous l'égide du Conseil scientifique de l'évaluation (CSE) et le deuxième rapport annuel établi par celui-ci. Ces publications marquent l'achèvement de la phase de mise en place du dispositif interministériel d'évaluation des politiques publiques décidé par le gouvernement de Michel Rocard en 1990 après une décennie de débats et d'hésitations, ponctuée par des colloques et la rédaction de deux rapports demandés par le gouvernement en 1986 et en 1989.
Nous nous proposons d'analyser le mouvement d'institutionnalisation de l'évaluation des politiques publiques en France du point de vue des mécanismes d'importation/exportation des modèles institutionnels. Il s'agit d'un domaine dans lequel l'importation semble a priori dominante, mais un examen plus attentif semble montrer que le cadavre de la "spécificité française" bouge encore. Le titre exagérément culinaire de cet article pose le problème de la combinaison des éléments importés, des inventions et des adaptations françaises en matière d'évaluation (...)
[...] Elle peut être résumée de la manière suivante : proposition de sujets d'évaluation par le CIME et par les équipes d'évaluation; évaluation des projets; premier avis du CSE sur la méthode; décision de financement sur les crédits du FNDE par le CIME; réalisation de l'évaluation par une équipe d'évaluation; deuxième avis du CSE sur les résultats; publication de l'évaluation et de l'avis du CSE; délibération du CIME sur les suites à donner à l'évaluation. Un jugement plus complet sur le fonctionnement du nouveau dispositif ne pourra être formulé que lorsqu'un certain nombre d'évaluations auront suivi le cours complet de la procédure et produit, du moins l'espère-t-on, des effets. Trois questions peuvent néanmoins être posées à ce stade. N'y a-t-il pas contradiction entre la définition de l'évaluation figurant dans le décret et la conception qui sous-tend la notion instance créée par le CSE? [...]
[...] Il est notable que le Président de la République ait justifié la mise en place du nouveau dispositif dans les termes suivants : l'État agit moins seul et il faut pourtant que chacun puisse savoir où sont les responsabilités L'originalité de la situation française vient du fait que si le gouvernement avance l'argument de bonne gestion de l'argent public, il ne fait pas une priorité absolue de la réduction des dépenses publiques. Il confie la gestion du système au Commissariat général du plan et non au ministère des finances, ne lie pas l'évaluation à la décision budgétaire, et laisse de côté le rôle du Parlement. Nous avancerons plus loin une hypothèse d'ordre politique pour expliquer cette anomalie. [...]
[...] Ainsi peut s'expliquer la contradiction observée plus haut entre la définition étroitement «managériale» de l'évaluation, que ne renieraient pas les gouvernements conservateurs qui utilisent l'évaluation pour réduire les dépenses publiques, et l'absence de tout lien organisé, dans le nouveau dispositif, entre l'évaluation et le processus de décision budgétaire. Le choix du gouvernement Rocard en faveur d'un pilotage par l'exécutif et le court-circuitage des corps de contrôle Enfin, il faut noter que le pilotage direct de l'activité évaluative par les ministres dans le cadre du CIME, la supervision méthodologique par le Conseil scientifique de l'évaluation, le principe annoncé d'une ouverture à la concurrence pour la réalisation des évaluations peuvent apparaître à certains membres des corps de contrôle traditionnels de l'administration française (Conseil d'État, Cour des comptes, inspection générale des finances, inspections spécialisées des ministères) comme une remise en cause de l'équilibre des pouvoirs entre le personnel politique et les membres de ces grands corps. [...]
[...] Une deuxième ambiguïté tient au rôle de véritable maître d'œuvre de l'évaluation attribué à l'instance qui, véritable artésienne du décret de 1990, régule en fait des contradictions entre, d'une part l'inspiration américaine de la stakeholder évaluation et d'autre part, le réflexe bien français de maîtrise du processus par l'administration. Ces interrogations pourront être examinées plus systématiquement lorsque l'expérience du système actuel se sera développée davantage. Mais il est néanmoins possible d'évoquer quelques hypothèses sur son évolution en replaçant la réforme actuelle dans une perspective plus large de nature comparative. II) LE DEVELOPPEMENT DE L'EVALUATION EN FRANCE DANS UNE PERSPECTIVE COMPARATIVE La réforme de 1990 constitue une étape importante dans l'institutionnalisation de l'évaluation mais le mouvement d'évaluation en France ne saurait s'y réduire. [...]
[...] Rocard, Premier ministre, commande un nouveau rapport qui porte, cette fois- ci, sur les modalités de mise en place de l'évaluation. Le théorème de P. Wagner et H. Wollmann semble donc s'appliquer, mais il ne permet pas de prendre en compte le fait que le gouvernement socialiste de 1981 qui lance le mouvement et le gouvernement socialiste qui met en place le nouveau système en 1990 sont profondément différents. Le changement de politique de 1983 II faut revenir ici sur le changement idéologique que connaît la France dans les années quatre-vingt pour en donner la dimension politique. [...]
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