Le développement de l'évaluation des politiques publiques en France peut être considéré comme le signe le plus tangible d'une transformation de l'espace public. L'introduction d'un suivi et d'une analyse critique des interventions publiques tranche singulièrement avec le principe d'un monopole de la compétence détenu par les autorités exécutives, qu'elles soient politiques ou strictement administratives, et qui semble fonder le pouvoir d'État au coeur de la Ve République.
L'évaluation offre donc un cas d'étude permettant de saisir en quoi le système politico-administratif français a pu récemment évoluer en dehors des discours convenus sur le changement des institutions politiques. L'évaluation témoigne en effet d'une transformation des conditions structurelles de l'action publique et des normes qui viennent l'organiser. La multiplication de controverses à caractère scientifique ou technique, au regard desquelles les clivages idéologiques ont perdu de leur pertinence, comme les effets induits d'une multitude d'initiatives privées (c'est le cas de la protection de l'environnement, de la santé ou de l'organisation des transports publics), associés à d'autres phénomènes (la politisation de la fonction publique, la décentralisation), ont conduit à s'éloigner des solutions organisationnelles qui prévalaient au début de la Ve République (...)
[...] L'évaluation peut ainsi servir à augmenter le contrôle sur les échelons inférieurs, à renforcer les relations d'autorité formelle qui entourent la mise en œuvre de certains programmes. Elle peut aussi permettre de retarder une politique à laquelle on s'oppose ou bien de remettre en cause une institution créée pour mettre en œuvre un programme que l'on considère comme dépassé. Le simple fait de lancer une évaluation sur une organisation consiste déjà à jeter quelque doute sur sa gestion ou sur le principe de son existence. [...]
[...] Dans ce contexte, l'évaluation peut jouer un indispensable rôle formateur et venir encadrer l'évolution des métiers de la fonction publique vers davantage de partenariat et moins d'autoritarisme. Son insertion dans le tissu institutionnel français doit cependant se conformer à la génétique qui le façonne. Il est peu vraisemblable que l'évaluation puisse pleinement se développer si elle est déconnectée de la fonction de contrôle et ceci autant pour des raisons purement pragmatiques que pour des raisons théoriques. Sur le plan pratique, il serait désastreux de se priver de l'expertise des corps de contrôle et de leurs moyens d'action. [...]
[...] On comprend dès lors que le développement de l'évaluation en France suscite autant de difficultés et d'interrogations (légitimes). CONCLUSION Dans l'état actuel du paysage institutionnel français, la place et le rôle de l'évaluation peuvent paraître, à bien des égards, mineurs. Ceci n'est pas le signe d'une incapacité congénitale à la démocratie mais plus sûrement celui d'une évolution en cours dont on ne connaît pas encore très bien l'issue. La question demeure en effet celle-ci : jusqu'où la notion de pouvoir d'Etat est-elle remise en cause? [...]
[...] Et l'évaluation se développe toujours dans la perspective d'une course à l'expertise entre la Présidence et le Congrès. Lorsque le contrôle du GAO s'insère, à partir de 1974, dans le cadre plus ambitieux du program analysis, c'est que l'institution a réussi à s'imposer face aux deux protagonistes en leur offrant une expertise affinée. Plusieurs facteurs vont jouer un rôle considérable dans l'institutionnalisation de l'évaluation : un droit administratif spécialisé qui ne trouve pas à s'incarner dans un ordre juridictionnel particulier, une structuration des dépenses en programmes bien identifiés sur le plan budgétaire et politique, une intégration forte des contrôles internes menés par les auditors des divers départements et des contrôles externes, la concentration des compétences au profit du GAO qui sert à la fois de centre pédagogique pour la diffusion des méthodes d'évaluation et de juridiction financière conservant son pouvoir de seulement of accounts. [...]
[...] On avait en effet beaucoup cru, dans les années soixante, à l'évaluation comme à un moyen de démocratiser les processus socio- politiques. La science contre le pouvoir s'est finalement avérée être une posture assez vaine et la faible utilisation des évaluations par les gestionnaires les conduisit à engager l'évaluation dans la voie de l'advocacy research, forme d'analyse partisane où l'évaluateur prend ouvertement le parti de défendre une cause. Ce changement de cap repose sur le raisonnement suivant : puisqu'il est objectivement impossible de savoir si les objectifs d'une politique ont été atteints, il est préférable de chercher à savoir quels sont les intérêts qui ont été les mieux servis par l'action publique. [...]
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