L'Europe se trouve à un tournant paradoxal. Tandis qu'une harmonisation juridique et une élaboration de constitution témoignent de l'intensification de l'intégration, les institutions européennes ont échoué à générer ce dont toute communauté politique a besoin pour survivre et prospérer : un sentiment d'appartenance. Aussi la conception actuelle de l'Europe par les Européens est le fruit d'une longue histoire commune qui a donné lieu à une représentation récente, encore inachevée, celle d'un continent uni par son destin et par ses valeurs. Pour Edgar Morin, l'Europe ne connaît pas de principe fondateur originel, « elle n'est devenue notion géographique que parce qu'elle est devenue notion historique ». Cette Europe formée par le chaos de l'Histoire est aujourd'hui au centre de tous les regards, de toutes les attentes et de tous les espoirs. Plutôt que de parler aujourd'hui d'un éventuel « esprit européen », d'une incertaine « citoyenneté européenne », ne doit pas d'abord reconnaître en l'Europe actuelle le difficile réveil d'un « trop vieux continent » ?
Penser l'Europe comme l'a fait donc fait Edgar Morin suppose que l'on comprenne qu'il n'y a d'Europe que parce qu'il y a eu histoire ; histoire d'une Europe toujours en construction ; guerres, conquêtes, invasions, échanges commerciaux et migrations ont procédé d'une même logique, la sculpture historique d'un continent. C'est par l'histoire que l'Europe se forme dans les esprits de ses habitants comme un continent reconnaissable par ses frontières, géographiques d'abord puis culturelles et politiques ensuite. « Si l'on cherche l'essence de l'Europe, on ne trouve qu'un esprit européen évanescent et aseptisé », un flot de croyances en une identité commune bien incertaine. Ainsi, les principes grec et latin viennent de la périphérie du continent Européen, tout comme le principe chrétien vient d'Asie. « Si l'Europe c'est le droit, c'est aussi la force ; si c'est la démocratie, c'est aussi l'oppression ; si c'est la spiritualité, c'est aussi la matérialité… », de telle sorte qu'il soit toujours tout aussi périlleux aujourd'hui de s'aventurer dans une délimitation précise de notre identité Européenne. Des citoyens Européens qui refusent le projet de constitution pour l'Europe ; une Union Européenne désunie sur le plan des relations internationales, moquée pour son ancienneté (la « vieille Europe), ou critiquée comme « technocratique », tous ces faits d'actualité nous amène à cette même question : qu'est-ce que l'Europe aujourd'hui au sein des relations internationales ? Unité multiple et complexe à la poursuite d'un destin commun, l'Europe ne subit-elle pas sa propre identité, comme refoulée, qui pourrait être sa force mais qu'elle n'assume pas, celle d'un « trop vieux continent », pris entre les eaux de son passé tumultueux et les voies incertaines d'un avenir à construire ? Entre les tentatives d'unification forcées par les nécessités de l'économie de marché mondialisée et les tentations nihilistes qui font de l'Europe une entité culturelle close et homogène, la voie de l'Union Européenne trace un chemin intermédiaire.
Si l'Europe aujourd'hui est avant tout perçue, avec les mots de François Mitterrand, comme un véritable « dépassement de l'Histoire », c'est justement parce qu'elle tire d'expériences heureuses et malheureuses sur un même continent un véritable « désir de vivre ensemble », source du « rêve européen » (I). Mais les difficultés de l'Europe sur la scène internationale témoignent des limites de ce rêve et rappellent le temps et la volonté politique nécessaire pour faire de ce rêve une réalité, quand au même moment se posent des questions de gouvernance internationale, de terrorisme, d'élargissement ou de mondialisation. (II).
[...] En faveur d'un miracle économique tranquille Rifkin loue le modèle européen comme un modèle universel. Si parfois au gré de la compétition internationale se trame une querelle entre une Europe définie comme vieillotte et des Etats-Unis présentés comme jeunes et modernes Rifkin rappelle par exemple que les Américains auraient peine à croire que l'une des conditions d'admission dans l'Union européenne soit l'abolition de la peine de mort, la gestion de la paix, l'orientation des forces armées, l'environnement, le principe de précaution Dans un monde où émerge le transpolitique selon les termes de Jean Baudrillard, c'est-à-dire un monde où les enjeux de pouvoir et de puissance sont définis par une économie déterritorialisée, on peut croire que l'Union Européenne, Union économique et monétaire, mais aussi coopération d'Etats voisins aux valeurs et principes communs (droits de l'homme, démocratie, liberté a un rôle primordial à jouer. [...]
[...] Dans les œuvres d'Homère, Ευρώπη, en grec, est une reine mythologique de Crète et non un terme géographique. Au VIIe siècle avant le Christ, les Grecs nomment alors Europe le nord continental et inconnu de leur contrée. Ce n'est que plus tard, au Ier siècle av. J.-C., que Varron, écrivain et savant romain,[] évoque une bipartition du monde au niveau du Bosphore, les parties situées au nord-ouest du détroit constituant l'Europe, celles situées au sud-est, l'Asie. L'Europe n'est alors qu'un au-delà septentrional informe au monde antique. [...]
[...] Là, il a pu grandir en liberté, et, marchant avec les mœurs, se développer paisiblement dans les lois. Mais le concert des nations européennes n'aura duré qu'un temps, arrive celui des impérialismes, des volontés de puissance dévastatrices et des guerres mondiales. L'Europe, théâtre progressivement édifié d'une civilisation propre et partagée outre-Atlantique, l'Europe rêvée de Victor Hugo, devient théâtre de deux guerres mondiales. Dans les cendres et l'abîme, c'est toute l'idée d'un continent neuf, d'une civilisation en marche vers le progrès, qui s'effondre. [...]
[...] En dominant le monde, l'Europe avait aussi essaimé sur le monde. Comme le dit Edgar Morin ou comme a pu le préciser Albert Cohen dans la mondialisation et ses ennemis, elle a corrélativement européisé le monde et mondialisé l'européisme C'est pourquoi le spécifiquement européen n'est plus exclusivement européen : l'Etat nation, la démocratie, l'Humanisme, la Rationalité, la Science, la Technologie, l'Industrie, le Capitalisme, le Socialisme. En un sens, comme le disait déjà le révolutionnaire Jean-Pierre-André-Amar, l'Europe a fomenté et fait le monde Mais dans le monde, elle n'est alors plus rien, ses frontières civilisationnelles sont devenues floues. [...]
[...] Une Europe est morte en 1945 mais naît un vouloir naître européen (Morin). Comme pour toute naissance, il y a un couple, c'est le couple franco-allemand, au centre de l'horreur passée, qui sera fondateur de ce renouveau, accouchant de la construction communautaire et bientôt de l'Union européenne. A travers ce couple, bien que dénoncé comme celui de la vieille Europe c'est toute une incarnation d'une nouvelle idée européenne, métanationale qui surgit comme pour mieux exorciser le spectre de la menace ancienne (l'affrontement) et celui de la menace nouvelle (l'inféodation idéologique, le danger nucléaire). [...]
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