Il ne s'agit pas tant de définir les valeurs et le contenu de la ou des gauches (même s'il faut aussi le faire) mais de réfléchir à la gauche comme identité politique, comme imaginaire de soi. Qui se nomme homme de gauche au XXème siècle ? Est-ce un type répertorié ? Etre de gauche, c'est une histoire, c'est une mémoire, ce sont des sociabilités, des réflexes citoyens, des façons de s'inscrire dans la vie publique bien plus larges qu'un simple investissement partisan.
Par ailleurs, les glissements de sens dus à l'évolution du contenu des gauches sont à prendre en compte : comme l'a dit René Rémond, la droite orléaniste fut aussi, au départ, une gauche. Evolution habituelle de la vie politique française que décrit André Siegfried qui « tend à tasser les partis, à les vider de leur énergie de gauche, pour les rejeter vers le centre, paradis des satisfaits » tout en suscitant l'émergence et le développement de nouvelles forces contestataires sur la gauche : relève des opportunistes par les radicaux, des radicaux par les socialistes, des socialistes par les communistes et ceux-ci par l'ultra-gauche. La gauche d'hier est le centre de demain et la droite d'après-demain !
Pour sa part, Maurice Agulhon pense que la bipartition gauche /droite rend confuse une partie de l'histoire politique française. C'est plutôt une tripartition qu'il voit à l'œuvre : la gauche, la droite et le refus ou la Révolution (le mouvement ouvrier). C'est par exemple la question de l'intégration problématique au XXè siècle des communistes à la gauche : à la fois, volonté de demeurer extérieurs au système et en même temps finissant par s'y conformer et reconfigurant la gauche par leur poids idéologique acquis.
[...] se réfère à la Révolution française, en accepte les héritages associés à ceux des Lumières. Un héritage cependant bariolé selon qu'on se réfère à 1789 ou 1793. Pourtant, dès la 2é moitié du XIX, la droite peut s'en réclamer aussi a une certaine représentation du temps : un temps orienté vers l'avenir, porteur de progrès lutte pour l'instauration d'un ordre nouveau fondé sur la Raison. L'histoire est perçue comme une ascension raisonnable Reconnaît une forme de mission civilisatrice à l'égard de l'ensemble du corps social, des peuples, du genre humain : effort d'instruction, de propagation des normes d'hygiène, qui peuvent aller jusqu'à l'apologie de la colonisation. [...]
[...] Les semaines d'effervescence de Mai 68 ont transformé le paradigme révolutionnaire que les deux grandes traditions socialistes monopolisaient ; elles ont ouvert le chemin à un style de radicalité délivré de la notion de révolution et favorisé l'essor d'un réformisme (au PS ou au PSU où on essaie de conjuguer autonomie et solidarité) capable de pallier l'épuisement de la social-démocratie. La grande tradition jacobine de la gauche française sort transformée de Mai 68 ainsi que le type de combat du camp du progrès qui cherchait traditionnellement à mobiliser contre l'exploitation engendrée par des rapports de production capitalistes. Au contraire, les rebelles de Mai 68 insistent sur l'assujettissement, sur les procédures de sujétion dans une société de consommation. [...]
[...] Les funérailles politiques, les discours prononcés sur la tombe des députés d'opposition sont l'occasion d'exprimer ses opinions politiques hors du Parlement ou de la sphère de l'électorat censitaire. Les réunions politiques de la fin du Second Empire, les cortèges et manifestations fréquents de la fin du XIX dessinent un corps politique et une sociabilité de gauche qui se précisent à la fin du XIXè. Notons que la gauche entretient un certain rapport à l'écriture (D.Kalifa). Faite de hardiesses et de contournements divers, l'écriture des hommes de gauche défie la censure et intègre l'autocensure qui structure la presse au XIXè. [...]
[...] Ces derniers sont-ils de gauche ? En réalité, dans l'entre-deux-guerres, l'extrême droite et l'extrême gauche remettent en question l'opposition séculaire droite/gauche en refusant le jeu parlementaire de la politique classique. Option sécessionniste et extériorité au système du P.C. Violence des anathèmes contre les frères ennemis socialistes, stigmatisation des sociaux-traitres, sociaux-fascistes durant les années 1920 jusqu'en 1934. Avec les communistes, nouvel ethos révolutionnaire, nouvelle pratique politique : apparition de la figure du militant communiste dévoué corps et âme à son parti, développant un rapport religieux au politique très différent du sentiment d'appartenance très lâche des notables du parti radical (créé en 1901). [...]
[...] * L'union de la gauche mise en place entre les communistes en perte d'initiative et le nouveau parti socialiste de François Mitterrand (1971) ne se limite pas au fameux Programme commun de gouvernement(1972). Là encore, un homme de gauche peut se reconnaître au P.S ou au P.C, généralement au P.S qui est en plein renouvellement et accueille les thématiques politiques post-soixante-huitardes : écologie, féminisme, régionalisme. Cette gauchisation trouve un débouché politique et une chambre d'écho au sein d'un parti socialiste à la clientèle plus jeune, plus diplômée et qui se démarque de plus en plus de la vieille SFIO de Guy Mollet, même si le discours de rupture avec le capitalisme demeure musclé jusqu'en 1983. [...]
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