« Le combattant guerrier est d'abord un écolier guerrier ». Cette formule de Nicolas Berdiaev illustre une des principales critiques de la prise en charge de l'éducation de la population par l'Etat. Un conditionnement des jeunes élèves peut en effet déterminer certains de leurs futurs comportements à l'âge adulte, et il peut être tentant pour l'Etat d'y voir un moyen de s'assurer la loyauté de ses futurs citoyens. L'enseignement de l'histoire joue un rôle évident dans cette éducation citoyenne. Dans Qu'est-ce qu'une nation ? Ernest Renan établit un lien très fort entre « l'essence de la nation » et la conscience de partager un « héritage passé ». Celle-ci implique par la suite une « volonté de vivre ensemble », ce qui fonde et justifie l'existence même de la nation. Si l'histoire est si importante pour l'Etat, peut-être ne faut-il pas questionner son implication, qui semble couler de source. Refuser à l'Etat la possibilité d'avoir son mot à dire dans l'enseignement de l'histoire pourrait remettre en cause sa raison d'être même. Il nous semble que la question porte sur la nature de l'Etat et la direction qu'il veut donner à l'enseignement de l'histoire. Aussi nous allons en premier lieu nous attacher à présenter les résistances à une influence de l'Etat sur l'histoire avant de traiter de son importance dans les processus d'identification du citoyen.
[...] Staline et sa machine de propagande étaient ainsi passés maîtres dans l'art de faire disparaître des documents ou des personnages de photos historiques, et d'en nier l'existence par après. Cela traduit une perception de l'histoire non pas comme une science objective et désintéressée, mais au contraire comme un outil de pouvoir, qui est sans cesse remodelé et reconstruit pour répondre aux nécessités du présent et aux stratégies dominantes. Cet usage est illustré par l'exemple extrême du roman 1984 de George Orwell, dans lequel il est écrit : ‘Celui qui contrôle le passé contrôle le futur. Celui qui contrôle le présent contrôle le passé'. [...]
[...] Le danger ici serait un nouveau morcellement de l'Europe. Aussi, la question de savoir si l'Etat devrait s'impliquer dans l'orientation de l'histoire nous paraît être un faux débat. L'Etat, cadre de la nation et de l'identité nationale depuis plusieurs siècles maintenant, trouve sa source de légitimité aussi dans l'histoire commune de la nation. La question aujourd'hui est plus de savoir quel doit être le degré de cette implication et celui des citoyens et historiens. Il est primordial de maintenir le débat avec une communauté scientifique indépendante. [...]
[...] la menace d'une histoire officielle au service d'une idéologie agressive Un deuxième axe de critique de l'orientation de l'enseignement de l'histoire met l'accent sur le danger que cela représente. Le risque de constitution d'une ‘histoire officielle' que dénonçaient les historiens lors des débats sur les lois mémorielles précédemment citées est évidemment un risque majeur d'un monopole étatique de l'histoire. La formule de Berdiaev citée en introduction peut ici être replacée dans un certain nombre d'exemples. Ainsi, la Première Guerre Mondiale s'explique avant tout par la puissance et l'agressivité des nationalismes européens. [...]
[...] On retrouve là le processus d'écriture des mythes nationaux, qu'Ernest Renan avait présenté en 1882. Il disait en effet que ‘l'oubli, même l'erreur historique', est un facteur essentiel de la création d'une nation et, en l'occurrence, d'une Europe unie. Cette initiative de manuel scolaire commun a été ainsi lancée en 2007 par les gouvernements polonais et allemands. A contrario, la résurgence des histoires locales ou régionales est inquiétante. Celle-ci découle de la régionalisation de nombreux pays européens et de processus de décentralisation. [...]
[...] Ici, c'est l'Europe qui pousse l'Etat nation à revoir l'orientation qu'il veut donner à l'histoire. B. De nouveaux enjeux qui remettent en cause une vision traditionnelle de la nation Pris dans la tourmente de la mondialisation, l'Etat nation semble être en péril. On parle d'incapacité de l'Etat, de pénétration étrangère, même de dissolution de la nation. Le débat se répercute évidemment sur la question de l'éducation et donc de l'histoire. Si le rôle de l'Etat dans la promotion de l'histoire nationale est contesté, alors la cohésion de la nation peut s'en ressentir sur le long terme. [...]
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