En 1942, Lord Beveridge remet un rapport au gouvernement britannique. Il propose une réorganisation de la société, s'appuyant davantage sur l'Etat, qui aurait à sa charge le bien commun et devrait veiller au bien-être de chacun du berceau à la tombe en plus d'être le gardien des lois établies. L'Etat semble être en effet le seul assez fort pour supporter une telle mission : il dispose de l'assentiment de la population qui lui fait confiance et s'en remet à son autorité et il possède de nombreux outils, police, justice, ministères divers, lui permettant “d'orienter” ou de réguler la vie publique. Mais n'est-ce pas donner un trop grand pouvoir à l'Etat que de l'immiscer encore dans la vie privée des citoyens ?
Car tous ces outils dont il a le bénéfice servent en fait à contraindre les citoyens, d'une manière répressive (police, justice) ou préventive (politiques ministérielles). Renforcer le pouvoir de l'Etat, c'est donc augmenter le risque de voir les citoyens dominés par l'Etat, ou par les élites politiques qui en abuseraient. Plus généralement, lorsque les individus s'en remettent à l'Etat, ils perdent instantanément leur autonomie. L'Etat les force à respecter des lois qu'ils n'ont peut-être pas personnellement approuvées, soit qu'ils ne fussent pas dans la majorité (cas de la démocratie), soit qu'ils ne fussent pas souverains (cas d'une oligarchie ou d'une monarchie). Ainsi, l'Etat rend les citoyens hétéronomes et constitue une menace perpétuelle pour eux. Nonobstant, la vie en communauté sans une forme d'Etat est-elle possible ? La remise en question de l'ultralibéralisme que nous connaissons en ce moment semble nier cette possibilité. Entre menace et nécessité, l'Etat garde un rôle déterminant pour l'individu, mais lequel est-il ?
[...] C'est certes un mécanisme corrompu par rapport à l'idée originelle d'Etat, car ici l'Etat se saisit comme entité disjointe de son peuple ; néanmoins, c'est ce qui arriva lors de la Guerre Froide, les deux Grands emprisonnés dans leur querelle cherchaient chacun à satisfaire à une exigence : montrer la supériorité de leur idéologie. A ce titre, il est aisé de sacrifier un individu pour cause”. La Raison d'Etat ne se soucie plus guère des individus qui composent son peuple. En ce sens l'Etat est une menace pour l'individu puisqu'il n'est plus qu'un pion. Si l'on considère l'Etat comme un moyen, la menace patente pour l'individu est que l'Etat serve à assouvir la domination du peuple par une nomenklatura. [...]
[...] L'Etat menace-t-il l'individu ? En 1942, Lord Beveridge remet un rapport au gouvernement britannique. Conscient que la misère d'une population rudoyée par la crise de 1930, et l'échec des politiques “libérales” cherchant à y répondre sont en grande partie responsables de l'instauration des régimes totalitaires et de la guerre et de ses horreurs, il propose une réorganisation de la société, s'appuyant davantage sur l'Etat, qui aurait à sa charge le bien commun et devrait veiller au bien-être de chacun du berceau à la tombe en plus d'être le gardien des lois établies. [...]
[...] Cela n'est pas a priori menaçant pour l'individu. Montrons comment de facto, cela le devient. Interrogeons d'abord le terme de “bonheur commun”, ou “bien commun” ; ce ne peut pas être la somme des bonheurs individuels, car dans une même société deux personnes peuvent avoir des désirs contraires. Par exemple deux personnes voulant le même objet, comme deux enfants se disputant une pelle dans le bac à sable, ont des désirs qui s'opposent mutuellement et réciproquement. La première veut avoir l'objet et que la seconde ne l'ait pas ; la seconde veut que la première n'ait pas l'objet et le posséder pour elle. [...]
[...] Entre menace et nécessité, l'Etat garde un rôle déterminant pour l'individu, mais lequel est-il ? Dans Du contrat social, Rousseau imagine un état originel des hommes qu'il appelle état de nature. Dans cet état, les hommes ne sont liés entre eux par aucun pacte. Ils vivent chacun de leur côté, ou plutôt survivent. Ces hommes, comme ils ne peuvent pas seuls subvenir à leurs besoins, vont s'associer entre eux ; la première des sociétés ainsi formées est la famille, puis vient le village, etc. [...]
[...] Mais s'il est humanisé, il ne l'est que parce qu'il se montre sous le visage des élus, des hommes politiques qui le manient. L'Etat est donc double, il est à la fois l'appareil et le visage du peuple souverain ; si l'on conçoit bien évidemment, que les hommes politiques représentent le peuple. Il est moyen et fin. Ce dédoublement pose cependant un grave problème. Considérons l'Etat comme une fin. Si les hommes font confiance à l'Etat, c'est qu'en fait ils se soumettent à lui. Ils prennent un risque. L'Etat vise le bonheur commun, certes. [...]
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