« Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible ». Telle est la phrase par laquelle Hannah Arendt commence son livre : Le système totalitaire, troisième partie de l'œuvre : les Origines du totalitarisme. Ainsi par cette idée Hannah Arendt veut semble t'il nous faire observer la difficulté que cela peut être de comprendre tous les rouages du régime totalitaire. Celui-ci en fait, serait incompréhensible par les « hommes normaux ». Il suffit ainsi de remarquer le nombre de définitions attribuées à ce mot. Chaque auteur en donne une différente. Forgé par Mussolini en 1919 pour décrire son propre régime prônant la supériorité absolue du tout sur la partie, ce mot a aujourd'hui pris une autre acception avec les régimes hitlérien et stalinien. Quels régimes peuvent être inclus dans ce concept nouveau ? Le fascisme, le nazisme et le stalinisme sont-ils tous des régimes que l'on peut qualifier par le terme « totalitaire » ?
Pour essayer de définir le totalitarisme de manière théorique et donner le qualificatif « totalitaire » à un régime, cinq critères les plus couramment évoqués depuis Hannah Arendt ont été choisis. Ainsi pour qu'un régime soit totalitaire et non pas seulement despotique ou tyrannique il faut que l'on y observe une idéologie, un parti unique à la tête duquel se trouve un seul homme, un régime policier de terreur, le monopole des moyens de coercition et de persuasion, (communication de masse…) et enfin une économie de masse. Ces critères ont permis à de nombreux auteurs, tel Hannah Arendt, Claude Polin ou encore Francois Furet, d'exclure un certain nombres de régimes de la classification totalitaire. Ainsi les régimes autoritaire du Dr Salazar, comme franquiste ou péroniste ne rentrent pas au sein de cette définition. Le fascisme, quant à lui, malgré le fait que le terme soit vraisemblablement utilisé la première fois par Mussolini, est lui aussi exclu de la définition totalitaire par la majorité des penseurs. Contrairement au nazisme et au stalinisme, ce régime ne semble pas avoir eu une vraie tyrannie d'un parti. « Le fascisme aurait été moins la monopolisation du pouvoir par le parti que par l'autocratisme d'un homme ». Par ailleurs il n'y eu pas de vraie étatisation de l'économie mais « un interventionnisme dans le domaine économique et social et une planification souple, assortie d'un penchant à l'oligarchisme » (les propriétaires ruraux furent favorisés. La tyrannie policière et idéologique, bien que présente par la violence et le terrorisme, ne fut pas une extermination méthodique de l'adversaire ou de l'autre comme ce fut le cas avec le nazisme et le stalinisme. Il n'y eu qu'une faible dose d'idéologie où les valeurs prônées étaient des valeurs traditionnelles : « l'idéal de la Nation unie, l'Etat fort pour assurer la paix et le progrès économique et social ». Mussolini ne voulait pas changer l'essence de l'homme mais « l'élever au dessus de lui-même pour en faire un membre conscient d'une société spirituelle » Ce régime n'a donc pas chercher à détruire l'Etat mais à le diriger, il n'a pas fabriqué un désastre national. « On peut d'ailleurs se demander si la différence n'est pas inscrite aussi dans le régime des idées et des intentions, parce que si Mussolini et Hitler peuvent bien se réclamer, en partie au moins, des mêmes idées, il reste qu'Hitler a inscrit le mot ‘race' en tête de son credo tandis que Mussolini n'est pas essentiellement raciste »
Il paraîtrait donc pour un grand nombre de penseurs que le totalitarisme soit un phénomène nouveau, datant du XXème siècle et qui engloberait en son sein seulement les régimes nazi et stalinien. Une autre distinction est aussi importante à faire. Ces deux régimes ne semblent vraiment avoir été totalitaires c'est à dire pour Hannah Arendt lorsque l'idéologie devient ‘nature' et la terreur ‘principe d'action' qu'à des périodes précises : Pour le stalinisme, ce serait à partir du règne de l'après guerre de Staline et les huit années de 1945 à 1953 et pour le nazisme les années de la guerre.
Si ce phénomène est nouveau est-il opportun de l'intégrer dans la classification des régimes politiques ? Depuis Platon, en passant par Aristote et Montesquieu, les différents régimes politiques ont été répertoriés en fonction de différents critères. Aristote distinguait les formes pures et déviées des régimes, répondant ou non à la finalité du Bien commun, et Montesquieu regroupait les régimes suivant les critères de nature (qui répond à la question « qui gouverne » et de principe, (« pourquoi les gens agissent-ils ?). Le totalitarisme rentre t-il dans cette classification des régimes politiques ? Est-il pertinent de classer un phénomène n'ayant pas une définition partagée par tous ?
Nous verrons donc dans une première partie que la ressemblance du totalitarisme avec certains régimes pourrait amener à une intégration de celui-ci dans la typologie des régimes politiques. Et dans une deuxième partie nous remarquerons que cette incorporation n'est pas pertinente du fait de la nouveauté de ce phénomène et de la singularité des régimes regroupés sous le terme « totalitaire ».
[...] Claude Polin fait ainsi un parallèle entre le développement des régimes totalitaires et la transformation du légitime souci pour les nécessités de l'existence en une passion exacerbée pour les biens matériels Pour cet auteur, le matérialisme poussé à l'extrême peut être une des origines du totalitarisme par le fait que les hommes cherchent le plus possible à acquérir des biens matériels qui ne sont pas par nature susceptibles d'être partagés à l'infini. Tout ce qui est acquis par l'un est en réalité autant dont l'autre est privé ce qui développe la haine des hommes les uns pour les autres. Le totalitarisme n'est-il autre chose que le développement de la haine des hommes pour ses semblables ? [...]
[...] Pour que ces lois soient traduites dans la réalité, la terreur est mise en place. Très vite, celle-ci a censée d'être un moyen pour éliminer l'opposition politique et est devenue indépendante, régnant de manière absolue même lorsqu'elle ne rencontre plus d'opposition. Est coupable tout ce qui devient suspect La terreur sacrifie les hommes pour le Bien de l'humanité. Ainsi si la loi est l'essence du gouvernement constitutionnel, la terreur devient celle du gouvernement totalitaire. Et ce dont la domination totalitaire a besoin , en guise de principe d'action est l'idéologie, qui est une préparation des individus destinés à devenir aussi bien bourreau que victime régime est donc bien nouveau et unique en son genre. [...]
[...] Pour Raymond Aron cette différence est essentielle et inéducable : dans l'un des cas l'aboutissement était le camps de travail, dans l'autre la chambre à gaz. Dans un cas est à l'œuvre une volonté de construire un régime nouveau et peut être un nouvel homme, par n'importe quels moyens, dans l'autre cas c'était une volonté proprement démoniaque de destruction d'une pseudo-race Les buts et les intentions du premier régime étaient fondamentalement humains et positifs alors que ceux du nazisme étaient foncièrement inhumains et négatifs. [...]
[...] C'est dans ce sens que l'on pourrait intégrer le concept de totalitarisme au sein de la classification des régimes politiques Les mêmes sources que les démocraties libérales et les sociétés industrielles Ce phénomène semble par ailleurs être issu de la modernité, ce qui pourrait amener à une intégration de ce phénomène au sein de la typologie des régimes. Il paraît puiser aux mêmes sources intellectuelles que les démocraties libérales. En effet, les deux régimes totalitaires ont comme origine commune la révolution française, inspirée de la philosophie des Lumières qui prône de nouvelles valeurs et une nouvelle conception de l'homme. [...]
[...] Tant que cette nouvelle conception de la société est accompagnée d'autres valeurs telles la liberté ce régime est vivable. Ainsi dans les démocraties libérales, où les droits de l'homme sont respectés c'est à dire la liberté, l'égalité, et la loi l'expression de la volonté générale, les hommes peuvent aspirer au bonheur. Pourtant poussée à l'extrême, cette conception de l'homme, maître de tout peut entraîner l'apparition de nouveaux systèmes tels que le totalitarisme. Il suffit en effet de regarder la philosophie prônée par le stalinisme et le nazisme pour se rendre compte que ces deux régimes ont comme finalité ultime d'atteindre l'Humanité pour le stalinisme et d'avoir une race pure pour l'hitlérisme. [...]
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