L'intention de vote des électeurs a été pour la première fois mesurée au début du 19ème siècle aux Etats-Unis par le biais des « votes de paille ». Des journaux utilisent des bulletins à découper et à renvoyer ou installent des urnes à la sortie de bureaux. Cette pratique a pour fonction d'anticiper des résultats électoraux hors de son expression formelle directe à savoir : les élections. Dès 1896, dans l'Etat de l'Illinois, ce vote de paille est abandonné par le journal The Record au profit d'une méthode qui se drape de scientificité. Des mathématiciens proposent des méthodes et tentent de définir un échantillon aléatoire de sondés. Dès lors capter les résultats d'un vote devient un enjeu : des scientifiques, en géographie, en statistique et en science politique, se penchent sur la question. Mais une division qui ne cessera de se creuser oppose les techniciens, artisans des sondages aux savants. La fiabilité des sondages repose pour les premiers sur leur caractère scientifique, ce qui, aux yeux des chercheurs n'est pas acquis. Gallup consacre la méthode des sondages face aux straw votes en : en 36, contrairement aux votes de paille, il prédit la victoire de Roosevelt, même si elle est sous évaluée de presque sept points.
Mesurer l'intention de vote des électeurs est le premier enjeu des instituts de sondage naissant. Activité qui leur confère l'autorité nécessaire pour défricher de nouveaux terrains d'enquêtes et faire apparaître une construction aux contours flous : l'opinion publique. Dès lors, celle-ci est invoquée pour se prononcer sur tous les sujets qui concernent la société, et la politique n'occupe plus qu'une part minime dans les chiffres d'affaires de ces instituts. Néanmoins, les sondages politiques, et particulièrement les sondages sur les intentions de vote, restent les garants de la crédibilité des sondeurs. Les directeurs d'instituts sont amenés à commenter les résultats de leurs sondages d'intention de votes jusque sur les plateaux des télévisions.
Pour certains professionnels des sondages, les mesures d'intention de vote se définissent comme un exemple des sondages d'opinion. Ils ont pour but principal de faire un sondage du comportement de vote du public. Selon eux, la majorité des mesures ont pour seule ambition de faire un relevé instantané. Elles mesurent quelle est la préférence de l'électeur au moment ou il est interrogé, pas ce qu'il va faire le jour même de l'élection.
Mais nous allons constater que ces sondages d'intentions de vote ne sont en réalité qu'un instrument fictif (I), dont la matérialisation produits de nombreux effets (II).
[...] A-t-on vraiment besoin de candidats ou d'élections pour mesurer des intentions de vote ? L'artificialité des sondages d'intention de vote est alimentée, en outre, par la création de situations fictives d'affrontements électoraux. A plus d'un an des prochaines élections présidentielles françaises, des sondages proposaient comme challenger des seconds tours : DSK/ Sarko, Royal/Villepin ou autres Sarko contre Hollande. Pourtant, un seul d'entres eux est aujourd'hui candidat, quand à arriver au second tour . Des oppositions créaient de toutes pièces. En 1997, avant même l'annonce officielle de la dissolution de l'Assemblée nationale, des sondages d'intentions de vote étaient déjà lancés. [...]
[...] Les indications données par les sondages ? Ils oublient que les sondages d'intention de vote minorent systématiquement les candidats extrêmes au profit des candidats institutionnels et que les coefficients de redressements ne peuvent pas tout. Ainsi, rien ne dit qu'une semaine avant le scrutin, une majorité d'électeurs ne préférait pas Jospin à Le Pen. Instrumentalisation des intentions de votes par les hommes politiques Les intentions de votes conditionnent les stratégies des acteurs politiques. Déjà pour un homme politique, il est essentiel d'apparaître dans ce type de sondages. [...]
[...] Avec des scénarios préénoncés, la vie politique est polarisée autours de candidats, définit comme possibles et mis en lumière par les intentions de vote. Sondages, ne l'oublions pas, dont la formulation des questions est énoncée soit par les médias, soit par les politiques eux- mêmes. D'aucuns voient dans ce système un moyen pour les intérêts conservateurs et pour les institutions centrales, de masquer les conflits, de camoufler les différences et de les canaliser en des oppositions de personnes. D'autres, parmi la classe dirigeante, de fustiger la désacralisation du vote par sa son simulacre perpétuel, l'intention de vote, qui ôte une part d'intérêt au vote lui-même. [...]
[...] La publication d'intentions de vote frise la frénésie. Il est légitime de se demander si l'échec des sondages à anticiper le passage de Le Pen au second tour des présidentielles 2002 ne justifie pas cette course effrénée des sondeurs dans la mesure, à chaque instant, de cette humeur si frivole. Les pseudo effets underdog et bandwagon nourrissent la croyance des politiques dans les effets de la publication des intentions de vote. Une critique couramment formulée est l'influence des publications de celles ci dans les choix électoraux. [...]
[...] L'intention de vote prend tout son sens dans cette mise en jeu du politique car elle circonscrit la question politique à un débat de personne. Un consensus sur les problèmes et les questions à poser s'opère. Les idées n'ont plus lieu d'être, puisque la question se résume à donner le nom d'un candidat. Ainsi, la fréquence toujours plus rapprochée des mesures d'intention de vote et l'anticipation toujours plus grande par rapport au scrutin conduisent à un feuilleton. Chaque semaine, les coqueluches habituelles alternent dans les panoramas médiatiques. [...]
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