L'entrée remarquée de la République dans « l'ère des commémorations », a considérablement renouvelé l'intérêt pour les mémoires. Ainsi, celles-ci se sont vues dotées d'un double statut : celui de matériau historique et celui d'enjeu politique. Le cas des pieds-noirs illustre parfaitement le rôle d'une mémoire destinée à transformer un groupe d'individus distincts en communauté de destin nourrie d'un sentiment collectif, dans le but d'en faire une force politique.
La dichotomie entre histoire et mémoire éclate au tournant des années 1980 par un puissant renouvellement des problématiques et des enjeux historiographiques. Le nouveau statut donné à l'analyse des « histoires orales », à l'étude des souvenirs et des mémoires en est le facteur principal.
En tant que sources officielles produites par les institutions politiques, les archives sont d'abord un outil d'analyse du pouvoir politique ou des groupes sociaux en position dominante. Il est donc intéressant de croiser sources écrites et sources orales afin d'interroger les discours dominants. Il convenait de s'affranchir l'histoire de la pesanteur des mémoires dominantes ou de la rigidité des classifications officielles. D'où le retour sur le devant de la scène des mémoires.
Pierre Nora, en privilégiant l'analyse des lieux où s'élaborent les mémoires, a dirigé la confection d'un travail considérable consistant à répertorier les lieux où se construit notre carte mentale. Plutôt que de séparer histoire et mémoire, il fallait donc saisir les mémoires à partir de l'opération intellectuelle qui les rend accessibles : l'histoire.
[...] Les principaux éléments du discours nostalgique sont gommés par les modernes. Ils sont volontairement éloignés mais pas nécessairement niés. Ainsi, le travail du discours moderne consiste à, une fois épurés les éléments victimaires, mettre en avant des éléments positifs qui reposent sur une définition culturelle de l'identité. Lorsque la mémoire pied-noir croise la mémoire nationale Les pieds-noirs restent persuadés que l'histoire officielle est fixée et définitive. En matière de guerre d'Algérie, des récits et des imaginaires multiples liés aux communautés se sont construits. [...]
[...] En effet, les avis sont tellement divergents qu'il est pratiquement impossible de trouver de compromis y compris au sein même des diverses associations pieds-noirs. Ainsi, si l'on prend l'exemple de l'association dont l'activité toute entière est dédiée au souvenir du 26 mars (Association Souvenir du 26 mars 1962 dont le siège est à Hyères) (date fondamentale dans la mémoire collective), le but de l'association est triple : il s'agit, d'une part, de commémorer dignement la mémoire des victimes françaises de la fusillade du 26 mars de la rue d'Isly à Alger ; d'autre part, l'association entend perpétuer sur le sol français le souvenir des victimes de cette tragédie ; enfin, il s'agit d'apporter son concours afin de défendre par tous les moyens en son pouvoir les intérêts moraux, sociaux et culturels de ses membres L'engagement des pieds-noirs ou des rapatriés dans des associations dont le but est d'aller contre la commémoration du 19 mars peut être interprété comme la tentative d'élaboration d'une contre histoire qui s'appuie sur une autre date symbolique, celle du 26 mars à Alger ou du 5 juillet) Oran. [...]
[...] L'entrée dans les structures associatives qui participent aux guerres des mémoires relatives à la guerre d'Algérie vient souvent plusieurs années après le rapatriement alors même que les problèmes matériels liés à l'installation sont oubliés. Que les premières structures associations relèvent du fait économique et matériel est incontestable. En effet, en 1962, l'urgence est à l'installation et à la situation financière. Il s'agit de tout reconstruire et de trouver un emploi. Ainsi, le travail de mémoire ne viendra que plus tard, une fois les problèmes liés au rapatriement gérés et l'insertion économique accomplie. [...]
[...] Même si c'est moins exacerbé que chez leurs parents, le caractère tabou de l'histoire pied- noir est tout de même évoqué. Un doute persiste quant au fait que l'histoire officielle joue toujours comme la communauté pied-noire, bien que les faits ne soient pas clairement contestés. On pourrait penser que la cause est à rechercher dans l'éviction de ce sujet des programmes scolaires. Pour Jean-Pierre Rioux, historien et inspecteur général de l'Éducation nationale, ce n'est pas du côté du système éducatif français qu'il faut chercher la source des occultations et des partis pris si souvent en ce pays dans l'évocation du drame algérien. [...]
[...] Parler pour le groupe et en son nom implique que ce groupe existe. Les Français d'Algérie n'existaient pas en tant que collectif, l'épisode des rapatriements ouvre une nouvelle situation : l'ensemble des individus qui viennent de quitter l'Algérie ne demeure lié que par la mémoire de l'Algérie française. La construction du pied-noir dépend ainsi de l'élaboration d'une mémoire pied-noir constituant le ciment d'une communauté qui, en 1962, n'existe qu'à l'état virtuel. L'énonciation d'une culture déracinée dans une histoire longue, le rappel des souffrances ou l'exhibition de symboles concourt, au même titre que la dénonciation des responsables ou des coupables du drame à la définition d'une mémoire collective à partir de laquelle plusieurs milliers d'individus peuvent se rassembler. [...]
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