Le mot « totalitarisme » est aujourd'hui entré dans le vocabulaire courant. Utilisé avec abondance par les médias, ce que sous-tend le terme est également devenu évident. Le terme désigne un régime politique démoniaque, contraire à ce dans quoi nous vivons, c'est-à-dire une démocratie pluraliste et libérale et sa représentation contient toujours en arrière-fond les deux régimes oppresseurs du 20e siècle qu'ont été le Nazisme et le Bolchevisme.
Il faut tout d'abord rappeler que le terme apparaît avant tout en Italie dans les années 20. Le parti fasciste reprit l'adjectif totalitario, utilisé de façon péjorative par les anti-fascistes, et lui attribua une connotation positive. Il désigne, selon K. Pomian, « la tendance proclamée par le mouvement fasciste à s'emparer, pour les orienter vers ses fins, de tous les aspects de la vie de l'individu et de la nation toute entière, puis la tendance analogue de l'Etat, accaparé par ce mouvement et qu'il a mis à son service ».
La notion fut dès l'origine politique autant que scientifique. Les débats intellectuels sur la comparaison des régimes nazis et bolcheviques apparaissent dès les années 20. Alors qu'un auteur comme Borkenau les rapproche au nom d'un commun nihilisme moral, Hans Kohn oppose la dictature rationnelle internationaliste et provisoire de l'URSS à la dictature charismatique, nationaliste et permanente de l'Allemagne nazie. On peut dire que la comparaison fascisme-communisme, dans une tentative de caractériser un mode de domination plus étroit que les despotismes anciens, sera précurseur dans une théorisation historique et philosophique du totalitarisme. Ainsi, dès les années 30, Franz Borkenau et quelques autres ont employé le terme « totalitarisme » pour, selon Ian Kershaw, « caractériser tout ce qui leur paraît nouveau et spécifique dans le fascisme (Italie et Allemagne) en dehors de toute comparaison avec le communisme soviétique » Puis, avec la signature du Pacte germano-soviétique, Borkenau assimilera le bolchevisme au nazisme (« le bolchevisme est un fascisme rouge et le nazisme un bolchevisme gris »). Ainsi, dès les années 30, les usages politiques des termes « totalitaire » ou « totalitarisme » sont allés de pair avec la construction de la notion par les sciences sociales et la philosophie.
Etant donné que la notion de totalitarisme a été un terme proprement politique revendiqué par le parti fasciste italien et un concept théorique concernant la science politique et la philosophie politique, et donc que, plus largement, « le vocabulaire historico-politique évolue sous l'influence des pensées mais aussi des polémiques et des modes" (M Agulhon), l'on peut se demander en quoi les enjeux idéologiques de l'après-guerre ont nourri le débat autour du concept de totalitarisme.
[...] Puis il publiera au début des années 60 ses cours professés à la Sorbonne dans l'année 1957- 58 et leur donnera le nom de Démocratie et Totalitarisme. Cet ouvrage s'inscrit dans un contexte nouveau: les effets du rapport Khrouchtchev laissent entrevoir une normalisation du régime soviétique. L'évolution de l'URSS apparaît comme une preuve d'optimisme pour les théoriciens du libéralisme occidental qui croient en l'idée d'une sortie du totalitarisme, ce qui va de pair avec l'analyse de Aron qui en insistant sur les similitudes, mais aussi et surtout les différences entre les deux régimes oppresseurs, préfigure une remise en cause de l'unicité de la catégorie de «totalitarisme» II. [...]
[...] Ainsi, dès les années 30, les usages politiques des termes totalitaire ou totalitarisme sont allés de pair avec la construction de la notion par les sciences sociales et la philosophie. Mais, bien que luxuriante, la littérature des précurseurs de l'entre-deux-guerres n'avait pas fondé un concept suffisamment analytique pour s'imposer durant ces années de guerre. L'opposition fondamentale deviendra alors celle de fascisme contre antifascisme. C'est l'instauration de la guerre froide qui allait permettre l'épanouissement de la catégorie par des débats qui ne peuvent se résumer qu'à des sous-produits propagandistes. [...]
[...] En ce sens, le totalitarisme est le fruit de la modernité. somme, écrit de manière ironique Claude Polin, le totalitarisme, c'est le despotisme plus l'électricité» Carl Friedrich s'est ainsi borné à décrire ce qui lui paraissait comme un phénomène nouveau et ne s'est pas occupé, contrairement à Arendt, de comprendre les origines du phénomène: «pourquoi les sociétés totalitaires sont ce qu'elles sont, nous ne le savons pas» énonce-t-il lors d'un colloque à Boston en 1953! Néanmoins, Friedrich a permis au concept de «totalitarisme» de pénétrer dans le milieu des sciences sociales et Ian Kershaw estime que «quand les historiens débattent du totalitarisme, le concept doit alors beaucoup plus aux apports de Carl Frierich qu'à ceux de A Arendt» R. [...]
[...] Ainsi, le politique et le scientifique se renforcent mutuellement. Même si les visées sont différentes, le résultat est néanmoins le même: insister sur ce qu'ont en commun le fascisme (Allemagne nazie, Italie) et le bolchevisme. Annah Arendt: Le premier ouvrage qui veut rendre compte de ce phénomène apparaissant comme nouveau est The Origins of Totalitarianism de Hannah Arendt publié en 1951. Il se compose de trois livres: Sur l'antisémitisme; L'impérialisme et Le système totalitaire. Dans les deux premiers livres, le réquisitoire touche principalement la France et l'Angleterre, mais la troisième partie consacrée au totalitarisme ne vise que l'URSS et le Troisième Reich. [...]
[...] Ainsi, Arendt ne prend pas en compte le contenu de l'idéologie; le fond du discours n'est pas important, seule compte sa dynamique qui plie le réel au nom des lois supérieures de l'Histoire (marxisme-léninisme) et de la Nature (biologisme nazi) Pour Losurdo, c'est à partir de la parution de ce livre que, dans les esprits, la notion de totalitarisme visera désormais exclusivement l'Allemagne hitlérienne et l'Union Soviétique et ainsi n'y aurait plus de place pour les critiques qui toucheraient au présent l'Occident» H. Arendt a ainsi donné force à la catégorie de «totalitarisme» dans une acception philosophique. Carl Friedrich: Ce seront les travaux de Carl Friedrich qui essaieront de décrire le phénomène totalitaire en remettant la dimension politique au premier plan. Pour ce politiste américain d'origine allemande ce qui marque la rupture du régime totalitaire avec les despotismes traditionnels et les démocraties de type occidental, c'est la présence en son sein de six critères. [...]
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