En Afrique du Sud, la culture constitue un terrain d'affrontement privilégié entre Blancs et Noirs, chez les uns pour imposer le système de l'apartheid, bien que celui-ci ait été assoupli depuis 1988, chez les autres pour lutter contre celui-ci.
Les autorités sud-africaines ont en effet cherché à enfermer les populations noires dans des cultures plus ou moins apocryphes, constituées à partir de critères ethno-historiques afin de rendre opératoire le principe du Grand Apartheid, c'est-à-dire la constitution d'une Afrique du Sud blanche et de dix États noirs satellites. Mais la réussite de cet ambitieux projet nécessitait la soumission des Africains à un modèle de société fondé sur la prégnance des valeurs traditionnelles. Cette vision fixiste va rapidement s'inscrire à contre-courant des rapides évolutions qui ont profondément bouleversé ce pays depuis les années soixante, notamment l'urbanisation massive des Africains et le processus d'acculturation qui l'a accompagnée.
[...] Peu à peu s'élabore une culture originale, véhiculée par une littérature, un théâtre, une musique, un art, qui doit plus au vécu du quotidien qu'aux idéologies empruntées aux oppresseurs (C. Meillassoux). De ghettos ethniques, les townships sont devenus un melting-pot, d'où surgit une civilisation nouvelle. Ce renouveau s'incarne alors dans le mouvement de la Black Consciousness (Conscience noire), organisation qui se développe dans la mouvance de la S.A.S.O. (South African Student Organisation) dont l'un des fondateurs fut Steve Biko. La Black Consciousness va canaliser et structurer les pulsions créatrices des townships, rejeter le modèle occidental et affirmer la supériorité des valeurs africaines, libérées toutefois du carcan de la tradition perçue comme une infériorité raciale tout en subissant fortement l'influence du modèle noir américain. [...]
[...] Les thèmes en vigueur en cours des années 1960-1970 sont délaissés, l'art devient militant et exalte la résistance face à l'apartheid. Les gravures sur bois de Billy Mandini, les huiles de Mpolokeng Ramphomane ou les encres de Paul Sibisi proposent une vision apocalyptique des townships, qui contraste singulièrement avec les œuvres beaucoup plus intériorisées et intimistes des années précédentes. Sous l'effet de la radicalisation des luttes, l'art évolue vers un certain réalisme social. Dans les années 90, la culture des townships est encore loin de constituer un ensemble véritablement homogène. [...]
[...] Ces groupes réalisent une remarquable synthèse des diverses influences qui parcourent les townships : soul des Noirs américains, reggae de la Jamaïque, rock blanc. Mais, parallèlement, s'est développée une musique typique des townships, le jive, qui s'inspire largement des musiques africaines traditionnelles, et où se mêlent notamment les rythmes zulu : mbaqanga, kwela et ingom'ebusuku. Parmi les groupes qui ont renoué avec la tradition, tout en la modernisant, certains ont atteint une notoriété mondiale comme Ladysmith Black Manbazo, qui puise largement dans le répertoire traditionnel zulu du Mbube. [...]
[...] Pourtant, en quelques décennies, la culture va devenir un enjeu majeur et un terrain d'affrontement privilégié. L'apartheid fut en effet longtemps présenté comme le seul moyen de maintenir et de respecter l'identité de chacun des groupes de population, au sein d'une société pluraliste. Les Noirs ont été ainsi divisés en neuf ethnies, chacune ayant une spécificité culturelle qui la rend irréductible aux autres, mais cette division a été effectuée sans respect pour l'histoire ou la géographie des civilisations noires. Les autorités ont donc enfermé les Africains dans une culture traditionnelle fictive, nécessaire au fondement d'une politique de différenciation raciale dont l'objectif était de creuser, voire de créer des clivages ethniques afin de maintenir et de renforcer la domination blanche sur des groupes infériorisés. [...]
[...] Les œuvres de fiction se sont rapidement politisées, marquant l'émergence d'une littérature militante dont les thèmes récurrents s'articulent autour de l'apartheid et de ses effets destructeurs. C'est dans ce courant que s'inscrivent les œuvres d'Alex La Guma, Can Themba, Webster Makaza et James Matthews. Dans les années 90 s'affirme un courant littéraire plus réaliste, qui délaisse la trame romanesque pour se consacrer à l'expérience vécue des individus pris dans la tourmente de l'apartheid. Les romans, récits ou nouvelles de Joel Matlou, Bheki Maseko, Miriam Tlali ou Mbulelo Mzamane, au style souvent dépouillé, constituent un témoignage remarquable d'authenticité sur l'Afrique du Sud en cette fin de XXe siècle. [...]
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