« Classes laborieuses, classes dangereuses » : La propagande et la (peur de la) foule
Aux origines des travaux sur la communication politique, il y a une interrogation, ou plutôt une peur primordiale de la foule, des mouvements collectifs et des moyens de les circonvenir. Cette peur qui caractérise les élites politiques et intellectuelles de l'époque face aux révoltes populaires se traduit dans un certain nombre de travaux académiques qui vont connaître un succès foudroyant. Dans le climat idéologique du dernier quart du XIXème siècle, Gustave Le Bon va publier, en 1895, sa Psychologie des foules. La foule y est désignée comme « une réunion d'individus quelconques, quels que soient leur nationalité, leur profession ou leur sexe, quels que soient aussi les hasards qui les rassemblent ». Cette définition très large, qui englobe chez Le Bon aussi bien les sectes que les castes professionnelles. Ce qui fait l'unité de la foule comme catégorie d'analyse, ce sont les traits communs que prête l'auteur à la foule.
Erik Neveu résume ainsi le propos de Le Bon : « L'individu y perd son autonomie, y subit des processus de contagion des croyances et des comportements. Les traits de la foule sont la suggestibilité qui la livre au meneur, le faible contrôle des affects et des instincts qui la rend émotive, imprévisible, dangereuse. A travers des jeux d'association à la consommation d'alcool, à des métaphores féminines, la foule est aussi systématiquement identifiée à un potentiel de déferlement des instincts sexuels, de violence » .
Bref chez Le Bon, la foule est ivre, hystérique, émotive. Elle fait peur. Mais Le Bon n'est pas seul. On retrouve ce même mode d'appréhension des phénomènes collectifs chez Gabriel Tarde (qui publie en 1901 : L'opinion et la foule) mais aussi chez Taine. Dans le climat intellectuel et politique de l'époque, l'idée qui domine c'est que les mouvements sociaux sont liés à des phénomènes de contagion (au sens presque médical) des masses par des leaders.
Suzanna Barrows , historienne américaine, a analysé ce développement d'une littérature de la peur de la foule comme le résultat d'un contexte de « panique morale » des élites sociales au lendemain de la Commune.
Ce type de discours « fait système avec la dénonciation des ‘fléaux sociaux' liés aux ‘classes dangereuses' associés au crime, à l'alcoolisme, à la fréquentation des mauvais lieux » .
Avec l'extension du suffrage universel et les revendications d'accès au droit de vote des femmes (mouvement des suffragettes) ce ne sont pas seulement les rassemblements dans la rue qui font peur mais l'avènement des masses à la politique, l'invasion du populaire dans la compétition politique qui était jusque là réservée à la bourgeoisie.
D'ailleurs, Gustave Le Bon est très clair sur ce point et sur l'intérêt qu'il y a, pour ceux qui sont à la tête de l'Etat, de maîtriser les foules : « L'avènement des classes populaires à la vie politique, leur transformation progressive en classes dirigeantes est un des traits les plus saillants de notre époque de transition [...]. La connaissance de la psychologie des foules constitue la ressource de l'homme d'Etat qui veut non les gouverner [...] mais tout au moins ne pas être gouverné par elles » .
Le racisme social, l'ethnocentrisme de classe qui s'exprime dans cette littérature qui se pare des atours de sciences naissantes (criminologie, hygiénisme, psychologie) peut sembler étonnant voire choquant de nos jours. Néanmoins, cette manière d'appréhender les masses va profondément et durablement marquer le climat intellectuel. C'est cette manière de considérer l'avènement des masses en politique qui va influencer les premiers travaux portant explicitement sur la communication politique et les moyens de s'en servir afin de diriger les foules, devenues lexicalement l'« opinion publique ».
C'est ce que l'on verra dans un troisième temps. Auparavant, il faut s'interroger sur l'origine d'une conception du monde social qui sous-tend l'impératif de communication. En effet, d'où vient l'idée que, désormais, la communication joue un rôle primordial et fondamental dans la société ?
[...] ] mais tout au moins ne pas être gouverné par elles Le racisme social, l'ethnocentrisme de classe qui s'exprime dans cette littérature qui se pare des atours de sciences naissantes (criminologie, hygiénisme, psychologie) peut sembler étonnant voire choquant de nos jours. Néanmoins, cette manière d'appréhender les masses va profondément et durablement marquer le climat intellectuel. C'est cette manière de considérer l'avènement des masses en politique qui va influencer les premiers travaux portant explicitement sur la communication politique et les moyens de s'en servir afin de diriger les foules, devenues lexicalement l'« opinion publique C'est ce que l'on verra dans un troisième temps. Auparavant, il faut s'interroger sur l'origine d'une conception du monde social qui sous-tend l'impératif de communication. [...]
[...] En Allemagne, en Grande-Bretagne, en France également, une réflexion sur la culture qui n'est pas indépendante d'un questionnement sur la communication va naître. La théorie critique de l'école de Francfort, les cultural studies de Grande-Bretagne et la sémiologie, le structuralisme et la sociologie (notamment marxiste) française vont questionner et remettre en cause le paradigme fonctionnaliste. Le fonctionnalisme considère les médias comme des mécanismes de régulation de la société au service de la démocratie. Ils permettent au système de fonctionner aux demandes sociales d'être exprimées, aux réponses gouvernementales d'être connues. [...]
[...] Éléments d'histoire sociale et intellectuelle de la communication politique Aux origines. Les impensés de la discipline Classes laborieuses, classes dangereuses : La propagande et la (peur de la) foule Aux origines des travaux sur la communication politique, il y a une interrogation, ou plutôt une peur primordiale de la foule, des mouvements collectifs et des moyens de les circonvenir. Cette peur qui caractérise les élites politiques et intellectuelles de l'époque face aux révoltes populaires se traduit dans un certain nombre de travaux académiques qui vont connaître un succès foudroyant. [...]
[...] 22). Cité dans : Patrick Lehingue, L'objectivation statistique des électorats : que savons-nous des électeurs du Front national ? in Jacques Lagroye, La Politisation, Belin pp. 247-278, p A&M p Elihu Katz, texte de la publication n°A-225 du Bureau de la Recherche Sociale appliquée, Colulmbia University. Version abrégée de la thèse de doctorat de l'auteur et intitulée Interpersonal Relations and Mass Communications : Studies in the Flow of Influence, Columbia University pp. 61-78. J. [...]
[...] Ils vont directement s'inspirer de la théorie rétroactive de Wiener (par opposition au modèle linéaire, balistique de Shannon et Wiener : une source, un message, un encodeur, un canal, un décodeur, une destination). Leur entreprise intellectuelle a pour but, explicite, de déposséder les sciences mathématiques de l'étude de la communication. Leurs modèles fondés sur l'étude des télécommunications n'a pas vocation à s'exporter sur la communication humaine. Yves Winkin[14] résume leur propos ainsi : Selon eux, la complexité de la moindre situation d'interaction est telle qu'il est vain de vouloir la réduire à deux ou plusieurs ‘variables' travaillant de façon linéaire. [...]
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