L'électeur français est-il rationnel ? Cette question peut paraître étonnante à premier abord puisqu'elle suppose un jugement de valeur sur le vote qui s'avère assez délicat. Le suffrage universel complet n'a vu le jour en France qu'en 1944 mais le suffrage universel en tant qu'idée a été pour la première fois avancée dans la philosophie des Lumières au 18ème siècle avec le principe de l'autonomie de la raison illustrée par la célèbre devise de Kant : « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ». Ainsi, le peuple doit pouvoir édicter ses propres lois et chaque électeur est donc considéré comme une parcelle de la raison populaire. On présuppose que chaque électeur est doté d'une capacité d'autonomie rationnelle qui lui permet de délibérer et de prendre des décisions rationnelles. La raison vient de ratio en latin qui signifie le calcul, le compte. La raison est donc indépendante de l'expérience sensible. L'électeur rationnel serait alors celui qui ne cède pas au vote conjoncturel mais qui au contraire mesure les conséquences de son acte et prend une décision réfléchi. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le modèle de l'électeur rationnel d'Anthony DOWNS. En effet, celui-ci conçoit le monde politique comme un marché économique et il compare ainsi l'homo oeconomicus à l'homo politicus qui interviennent tous deux de manière réfléchie sur le marché. Dans An economic theory of democracy, il analyse les propositions du candidat comme relevant de l'offre et le citoyen votera en fonction de celui qui se rapproche le plus de ses attentes et qui lui propose de maximiser son utilité. Cette théorie cependant a une condition : c'est que l'individu dispose des informations nécessaires à former son opinion et comparer les différentes propositions qui lui sont soumises. De plus, il peut douter de la crédibilité des acteurs et se demander si les propositions seront appliquées ou si elles ne constituent qu'une ruse en vue de s'emparer du pouvoir. Nous verrons ainsi dans quelle mesure l'électeur français correspond à ce portrait mais avant cela, il me paraît essentiel de vous présenter les différentes lectures établies de l'électorat.
[...] Un électeur libéré du poids des passions et des traditions? L'électeur rationnel est un électeur autonome par excellence dans le sens où son vote n'est pas déterminé par des données sociologiques ou encore idéologiques et on a plutôt l'impression que c'est vers ce modèle que la tendance actuelle s'oriente. En effet, les femmes ne sont plus nécessairement celles qui votent à droite, les ouvriers ne votent plus forcément communiste et les jeunes n'ont plus quant à eux le monopole du vote gauchiste. [...]
[...] Cette rupture a des raisons. L'électeur est en effet plus informé par le développement des médias et par le fait que la politique soit rendue plus attractive même si cela se traduit également par des conséquences plus négatives comme la dévalorisation du politique également. Malgré tout, le niveau de culture politique des Français demeure relativement élevé en comparaison avec d'autres pays. Cela s'observe également par le succès des grands débats de société à la télévision même s'ils peuvent parfois s'apparenter aux discussions du café du commerce. [...]
[...] Cette analyse fondée sur la géographie humaine, bien qu'elle ne soit plus pertinente aujourd'hui et qu'elle ait été contredite par d'autres analyses comme celles de Charles Tilly à propos de la Vendée ou de Paul Bois dans Les paysans de l'ouest a néanmoins le mérite d'amorcer une étude scientifique du vote. En effet, elle a été poursuivie par Yves Lacoste dans Géopolitiques des régions françaises et a ouvert la voie à des lectures plus sociologiques. Le vote n'est pas un phénomène aléatoire. Les caractéristiques socioculturelles et l'appartenance à des groupes sont des données déterminantes. [...]
[...] Toutes sortes d'autres données entrent en ligne de compte, dont il fait la somme et qui ne relèvent pas du rationnel : souvenirs, sentiments, traditions familiales ou régionale, craintes, espérances, aspirations, autant de paramètres qui ne se laissent pas mettre en chiffres. C'est un des paradoxes du vote : il inscrit le calcul au cœur du politique mais lui-même ne se réduit pas à l'ordre des grandeurs quantifiables. Le choix est ainsi le fruit d'un processus où se mêlent facteurs structurels et conjoncturels. [...]
[...] Si l'explication psychosociologique peut d'ores et déjà être écarté du fait de sa spécificité américaine, car adapté au bipartisme, l'électeur français est en revanche plus souvent considéré comme rationnel. II La rationalité de l'électeur français La thèse de l'électeur rationnel suppose deux conditions essentielles : tout d'abord que l'électeur soit informé puis qu'ensuite, il soit libéré du poids des traditions et des passions. Un électeur plus informé Pour Pierre ROSANVALLON, le vote idéologique ou vote socioprofessionnelle cède désormais la place au choix raisonné La démocratie est ainsi plus rationnelle. [...]
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