Une blague fameuse, paraît-il, circule dans certaines universités d'économie. Deux économistes se retrouvent un dimanche matin dans un bureau de vote. « Que faites-vous là ? », demande l'un au deuxième, manifestement intrigué de le voir ici. « C'est ma femme qui m'a forcé », avoue l'autre, un peu honteux. « Pareil pour moi ! ». Les deux économistes semblent alors embarrassés. Passé un moment de gêne, le premier propose au second : « Si vous me jurez de ne rien dire à personne, je vous promets de ne pas dire non plus que je vous ai trouvé ici… ». L'autre acquiesce, et les deux économistes s'en vont voter.
Pourquoi ces économistes sont-ils gênés de se retrouver dans un bureau de vote ? En réalité, c'est parce que tous deux soutiennent la thèse selon laquelle l'individu est un être rationnel. Cette théorie, appelée néo-utilitariste, a dans un premier temps été établie par Schumpeter, puis développée par Downs. Elle s'appuie sur l'idée du postulat de rationalité : qu'il soit consommateur ou électeur, l'individu agit en connaissance de cause, en mesurant coûts et bénéfices, et cherche constamment à maximiser ses intérêts. Or, le vote a un coût certain – déplacement, perte de temps – et relativement peu d'intérêt : chacun sait que l'impact d'une voix sur l'issue d'une élection est infinitésimal…
C'est là que réside tout le paradoxe du vote : pourquoi est-ce que les individus, à l'image de ces deux économistes, continuent-ils à voter massivement, alors même qu'ils n'en retireront aucun bénéfice ? Peut-on alors les qualifier d'irrationnels ? Que ce soit dans le fait même d'aller voter ou dans ses choix politiques, par quoi l'électeur est-il influencé ? Quels sont les facteurs, si ce n'est la raison, qui déterminent ses choix ?
Le modèle néo-utilitariste semble impuissant pour lever certains paradoxes. D'autres théories ont tenté d'éclaircir cette question, notamment en proposant une interprétation symbolique du vote. Alessandro Pizzorno cherche cependant à dépasser cette conception, en proposant une analyse qui ne se pose plus en terme de production d'intérêts mais plutôt de production d'identité collective.
[...] La France et ses élections présidentielles de 2002 offrent à cet égard un triste exemple, qui illustre parfaitement l'influence de cette politique du théâtre sur le vote. Trois jours avant lesdites élections, un gentil grand-père, Papy Voise se fait brutalement tabasser par une poignée de délinquants. Le jour même, le visage tuméfié du septuagénaire fait la une de Paris Match : Insécurité : le fait divers de trop ! lit- on en grosses capitales sur les doubles pages centrales. Et puis c'est bientôt l'emballement médiatique. [...]
[...] Le premier axe est celui de la solidarité. La théorie symbolique montre que l'électeur ne vote pas nécessairement dans un intérêt purement personnel, mais que ses choix peuvent au contraire être déterminés par une recherche du bien-être collectif et non par une volonté de satisfaire un intérêt égoïste. Un électeur peut également agir par solidarité envers un parti auquel il s'est identifié, ou encore par une solidarité religieuse. Prenons le cas du Liban : il paraît bien peu probable qu'un chrétien vote pour élire un représentant musulman, et inversement. [...]
[...] L'analyse économique est- elle vraiment applicable à la politique ? Peut-on dire que seules les décisions des organes de l'Etat produisent une valeur pour l'individu ? Ne pourrait-on pas trouver, dans le système politique, d'autres sources de production de valeur ? La théorie symbolique, qui se pose comme une alternative radicale à la théorie néo-utilitariste, tente d'aller au-delà d'une analyse en terme d'utilité. Cette théorie montre en effet que l'action politique peut produire d'autres types de valeur, qui seraient non pas matérielles mais symboliques. [...]
[...] C'est là, dit- il, que réside la faille du raisonnement. Car en réalité la distinction entre bien matériel et bien symbolique est relative ; l'individu seul est apte à définir quels sont ses intérêts, et la valeur que l'on attribue à un bien est parfaitement subjective. Un gouvernement, par exemple, voudrait récompenser un homme qui aurait par exemple fait de grandes choses pour son pays. A quelle récompense sera-t-il le plus sensible : gagner de l'argent ou être décoré d'une médaille ? [...]
[...] L'électeur est-il-rationnel ? Une blague fameuse, paraît-il, circule dans certaines universités d'économie. Deux économistes se retrouvent un dimanche matin dans un bureau de vote. Que faites-vous là ? demande l'un au deuxième, manifestement intrigué de le voir ici. C'est ma femme qui m'a forcé avoue l'autre, un peu honteux. Pareil pour moi ! Les deux économistes semblent alors embarrassés. Passé un moment de gêne, le premier propose au second : Si vous me jurez de ne rien dire à personne, je vous promets de ne pas dire non plus que je vous ai trouvé ici L'autre acquiesce, et les deux économistes s'en vont voter. [...]
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