L'adjectif ethnique serait-il un « mot de combat » ? Si l'on admet la constatation et la conviction auxquelles est parvenu au terme de ses travaux, l'historien Koselleck, à savoir qu'un mot est un « condensé d'histoire sociale », il devient alors possible de s'interroger sur le concept même d'ethnie, sur sa pertinence éventuelle et sur le rôle qu'il a pu jouer directement ou indirectement dans la perception du conflit par les belligérants, les acteurs extérieurs et les divers analystes mais aussi dans la gestion et la résolution de l'éclatement yougoslave.
Le conflit yougoslave est considéré comme un conflit ethnique, comme le premier de la vague qui aurait déferlé sur le globe avec la fin des idéologies, en particulier de l'idéologie communiste, et de l'ordre bipolaire international, et à ce titre il servirait de cas d'école et de paradigme à toutes les réflexions et catégorisations sur les conflits dits « ethniques », comme celle de Mary Kaldor.
Comment expliquer que le conflit yougoslave ait été aussi commenté, ait eu une aussi considérable répercussion, sans que ses déterminants ne fassent l'objet d'un consensus ? Ceci nous amène à trois questions structurantes : qu'entend-on par ethnie, que recouvre précisément ce terme ? Dans quelle mesure l'éclatement de la Yougoslavie peut-il être imputé aux divisions ethniques du pays ? Dans quelle mesure la détermination ethnique du conflit a-t-elle influé sur sa résolution et l'intervention des puissances étrangères et sur la théorisation ultérieure, non seulement du conflit yougoslave lui-même mais plus généralement des guerres dites « ethniques » ?
[...] Cependant de nombreux groupes politiques étaient initialement favorables, certains à un renforcement du pouvoir fédéral, d'autres à davantage d'autonomie pour les Républiques constituantes, notamment le cas de mouvements croates qui se sont exprimés en 1971, avec le soutien tacite d'une partie de la Ligue des communistes de Croatie, lors de ce qui a été appelé le Printemps croate et qui a abouti au compromis de 1974, organisant une décentralisation du pouvoir sous la nouvelle Constitution. Ces divergences traversaient chacune des Républiques constituantes avec des tendances plus ou moins affirmées pour l'une ou pour l'autre. Elles ont trouvé à s'exprimer et à s'affirmer dans le cadre des bouleversements constitutionnels et politiques de la fin de la décennie 1980, jusqu'à conduire à l'éclatement. Mais ces divisions n'ont pas nécessairement relevé d'un caractère ethnique mais politique. [...]
[...] Intervenir suppose de régler ce qui a poussé à l'éclatement, or Charles King rappelle dans son article que les causes du déclenchement d'un conflit sont rarement celles qui peuvent expliquer sa perpétuation ou sa reprise. Cet élément doit être pris en compte dans l'évaluation de l'intervention. How to end an [ethnic] war? La difficulté à mettre fin à une guerre ethnique est justement qu'elle a engendré à l'intérieur des populations des haines et des instincts revanchards extrêmement prégnants et qu'elle nécessite également de mettre un nom sur les crimes perpétrés et de trouver des coupables. [...]
[...] La tendance à l'indépendance et à la réinvention de la différence est profonde. On insiste sur ce qui nous différencie et on forge ces différences, la langue elle-même similaire dans la région fait l'objet de modifications, de créations d'idiotismes. Les parties étant irréconciliables, le processus de paix entérine la mort de la Yougoslavie et la création de nouveaux Etats, considérés comme stables car davantage homogènes Mais quelle viabilité pour ces nouveaux Etats, qui doivent construire des cadres légaux administratifs, politiques et judiciaires, désarmer les milices et revenir à une structure économique légale en rompant avec les économies parallèles, éventuellement mafieuses, créées pendant le conflit, tout ceci se déroulant dans un contexte dégradé, où les tensions sont d'autant plus fortes que le conflit a été meurtrier ? [...]
[...] L'identification ethnique résulte des interactions entre les individus. L'invention de la tradition L'invention de la tradition Dans leur célèbre ouvrage The Invention of Tradition, Eric Hobsbawm et Terence Ranger analysent les processus de création des discours sur les traditions. Les traditions et les cultures font souvent l'objet de reconstructions historiques par lesquelles elles vont être justifiées. Il s'agit de démontrer l'ancienneté de la culture et de la communauté et de justifier par la tradition le maintien de cette communauté et de cette culture et in fine des rapports de pouvoir et de légitimation qu'elle a institués. [...]
[...] L'éclatement de la Yougoslavie était-il ethnique? L'adjectif ethnique serait-il un mot de combat ? Si l'on admet la constatation et la conviction auxquelles est parvenu au terme de ses travaux l'historien Koselleck, à savoir qu'un mot est un condensé d'histoire sociale il devient alors possible de s'interroger sur le concept même d'ethnie, sur sa pertinence éventuelle et sur le rôle qu'il a pu jouer directement ou indirectement dans la perception du conflit par les belligérants, les acteurs extérieurs et les divers analystes mais aussi dans la gestion et la résolution de l'éclatement yougoslave. [...]
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