Ni droite ni gauche est une thèse de Zeev Sternhell de 1983 dans laquelle le professeur israélien défend l'idée de l'existence d'un fascisme français très puissant pendant le demi-siècle ayant précédé le régime de Vichy, reposant sur l'œuvre abondante de plusieurs intellectuels français. Professeur de sciences politiques à l'Université hébraïque de Jérusalem, Zeev Sternhell est également l'auteur de Maurice Barrès et le nationalisme français, 1972, La droite révolutionnaire 1885-1914, 1978, Naissance de l'idéologie fasciste, 1989. Sa thèse sur l'emprunte du fascisme en France et la nature fasciste du régime de Vichy va à l'encontre de l'opinion commune selon laquelle le mouvement fasciste a toujours été marginal en France et qui ne voit en Vichy qu'un accident de l'histoire, une expérience autoritaire et traditionaliste conséquence de la défaite.
La polémique avec les autres historiens et intellectuels contemporains s'est poursuivie après la publication de Ni droite ni gauche, opposant d'une part Zeev Sternhell et Bernard-Henri Lévy , et d'autre part René Rémond et Pierre Milza (parmi beaucoup d'autres). En effet, la thèse du professeur Sternhell reste mal acceptée par la majorité des historiens français. Cela explique que la troisième édition de l'ouvrage en 2000 ait été largement revue et complétée par une préface et un épilogue dans lesquels l'auteur, en s'efforçant de répondre aux principales critiques qui lui sont adressées, expose clairement ses motivations : lutter contre toute forme de révisionnisme en France et dans les autres pays européens, et en particulier mettre fin au mythe de la France « immunisée » contre le fascisme par sa profonde tradition démocratique.
Pour démontrer l'ancrage de la tradition fasciste en France au début du XXème siècle, le professeur Sternhell s'appuie sur les œuvres, discours et actions de plusieurs intellectuels , parmi lesquels Barrès, père et fils, Maurras, Sorel, Valois, Le Man, Déat, Maulnier, Mounier. Pour ce faire, il organise son ouvrage en huit chapitres consacrés chacun à un aspect fondamental de l'idéologie fasciste selon un ordre à la fois thématique et chronologique, s'intéressant en détail à chaque fois au parcours d'un intellectuel incontournable pour l'étude de la naissance et de l'implantation de cette doctrine en France. La préface et l'épilogue permettent de tirer les conclusions principales de l'étude : à savoir, la réelle influence de l'idéologie fasciste en France, fruit d'une littérature d'une qualité et d'une quantité sans commune mesure en Europe, ayant permis à l'heure de la défaite face à l'Allemagne nazie la mise en place d'un régime totalitaire à caractère authentiquement fasciste.
Pour étudier l'ouvrage de Zeev Sternhell, nous allons revenir sur les principaux points de son analyse, qui peuvent déjà être déduits du titre : l'existence d'une idéologie fasciste en France, née en opposition à la fois à la droite et à la gauche, ayant abouti au régime de Vichy. Ainsi, nous commencerons par définir le fascisme comme une révolte contre le matérialisme libéral et marxiste ; puis, nous nous pencherons sur le « socialisme national » qui caractérise le fascisme ; enfin, nous terminerons par nous interroger sur la nature du régime de Vichy et le rôle de la pensée fasciste française depuis le tournant du siècle dans sa naissance.
[...] La contradiction entre les deux thèses est sans doute moindre si l'on tient compte de la distance nécessaire, qui n'est pas spécifique au fascisme, de la théorie politique par rapport à son application. Toujours est-il que le professeur Sternhell a apporté une contribution essentielle pour une meilleure compréhension du phénomène fasciste et de Vichy aux dépens d'une certaine légende indulgente et moralement confortable, d'où l'ampleur du débat suscité par ses travaux. Comme le dit Jean-Pierre Rioux, Ni droite ni gauche fait mal à l'identité nationale. [...]
[...] Les fascistes retiennent de Marx la sociologie de la violence, la guerre à la démocratie bourgeoise et au droit naturel (l'Italien Croce remerciera Marx en 1917 de l'avoir rendu insensible à la Justice et à l'Humanité En revanche, ils rejettent son matérialisme, son automatisme qui ne correspond pas à la réalité (la révolution prolétarienne ne se profile pas à l'horizon), et se revendiquent d'un socialisme éternel non-marxiste, présent dans la civilisation depuis toujours sous une forme spirituelle plus qu'économique. Le socialisme scientifique est aussi absurde que l'amour scientifique dira Henri De Man. Dans cet esprit, Maurras se qualifiera de socialiste-monarchiste et, comme Barrès, définira le nationalisme comme une tentative pour intégrer le prolétariat dans la nation. Cela explique que beaucoup de fascistes soient venus de la gauche (comme Marcel Déat de la SFIO, Jacques Doriot du PCF et même Mussolini) avec l'intention d'aller au-delà du marxisme (titre d'un ouvrage de De Man). [...]
[...] En ce qui concerne l'Action française, à l'exception de la peur des masses qui la caractérise, l'auteur la juge idéologiquement plus proche du nazisme que du fascisme du fait de son antisémitisme très violent. L'échec, avant 1940, des mouvements fascistes français serait donc dû au contexte, à leurs divisions et luttes fratricides, ainsi qu'à la ferme opposition de la droite traditionnelle d'envisager une quelconque collaboration avec eux (contrairement à l'Italie de 1922 et à l'Allemagne de 1932, la droite française restera suffisamment puissante jusqu'à la Seconde Guerre mondiale pour pouvoir lutter seule pour le pouvoir). [...]
[...] Ainsi, nous commencerons par définir le fascisme comme une révolte contre le matérialisme libéral et marxiste ; puis, nous nous pencherons sur le socialisme national qui caractérise le fascisme ; enfin, nous terminerons par nous interroger sur la nature du régime de Vichy et le rôle de la pensée fasciste française depuis le tournant du siècle dans sa naissance. La révolte contre le matérialisme libéral et marxiste 1. Le rejet de la démocratie libérale Le fascisme constitue avant tout une révolte contre les valeurs dominantes de la fin du XIXème siècle, issues des Lumières, à savoir l'individualisme et le rationalisme, fondements du libéralisme politique (démocratie) et économique (capitalisme). [...]
[...] Conclusion Ainsi, le travail du professeur Sternhell ne laisse guère de doute quant à l'influence réelle de l'idéologie fasciste sur le monde politique et intellectuel et la société française dans son ensemble à l'heure de la défaite de l'été 1940. La naissance du régime de Vichy apparaît comme la conséquence d'un demi-siècle d'attaques impitoyables contre la démocratie libérale avec un dénigrement systématique des valeurs universalistes, rationalistes et individualistes des Lumières. La révolte intellectuelle a précédé la révolte politique. C'est donc là que réside l'intérêt principal de l'ouvrage : une défaite militaire à elle seule ne peut expliquer l'avènement de la Révolution nationale, le travail intellectuel de plusieurs penseurs depuis la Belle Epoque poursuivi pendant l'entre-deux-guerres a été fatal à la République. [...]
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