« Qui contrôle le passé contrôle le futur. Qui contrôle le présent contrôle le passé ».
Dans le système totalitaire que décrit G. Orwell dans son roman 1984, le régime politique en place, par le biais du ministère de la Vérité, utilise le droit pour définir et instaurer une histoire officielle, qu'aucun citoyen ne peut critiquer ou remettre en doute. Ce premier exemple littéraire illustre le risque de totalitarisme que suppose toute intervention du droit dans la sphère de l'histoire.
A l'origine, cependant, on peut remarquer qu'histoire et droit peuvent, par certains aspect, paraître proche l'un de l'autre : chacun induit en partie une enquête (à l'étymologie historia signifie enquête), l'utilisation de preuves, et la recherche de la vérité ; et tous deux participent de la construction de la société. Ce n'est pas un hasard si, chez les grecs, Clio, muse de l'histoire, était la nièce de Thémis, déesse de la justice.
Reste qu'histoire et droit sont profondément différents ; l'une par nature questionne pour construire la mémoire des sociétés, tandis que l'autre ne doute pas et affirme pour assurer la stabilité et le respect des normes au sein de la Cité. Si les vérités de l'histoire peuvent être remises en question, celles du droit se doivent d'être définitives.
Dans le cadre de cette relation entre droit et histoire, est-il légitime ou, au contraire, dangereux que le droit pose des limites à l'exercice et au champ de l'histoire ? La liberté de l'historien est elle un absolu qui ne souffre aucun encadrement juridique, sous peine de tomber dans une dérive anti-démocratique ? L'histoire peut-elle tout dire, peut-elle mentir sans que le droit n'intervienne ?
L'ensemble de ces questions apparaissent profondément actuelle au vu notamment du vote récent de Lois mémorielles et de la résurgence forte du débat sur ce thème entre février 2005 et février 2006.
De fait, il apparaît intéressant de se demander, au regard de ces interrogations, si le droit a oui ou non le pouvoir légitime d'intervenir dans la sphère historique, et si l'acceptation de cette intervention a pu évoluer.
Ainsi, s'il est certain que, pour de nombreuses raisons, il serait dangereux que le droit dise l'histoire (I), le droit est néanmoins intervenu à de nombreuses reprises dans le champ de cette dernière (II).
[...] - Vérité historique et vérité judiciaire. L'arrêt Faurisson est en effet basé sur une distinction fondamentale qui permet de juger l'historien sans juger l'histoire : celle de la vérité historique et de la vérité judiciaire Cette différenciation trouve son explication dans la séparation symbolique qui est faite entre les Institutions et la Mémoire collective. - Les Institutions ont pour fonction de gérer une société et non d'en dire la vérité, elles doivent être neutres : le juge relève de ces Institutions. [...]
[...] Le cas le plus illustratif de cet encadrement de l'histoire demeure celui de l'Arrêt Faurisson rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 8 juillet 1881 et qui constitue une démonstration de la gymnastique judiciaire que supposent les relations entre droit et histoire : - Les faits. Mr Faurrisson avait déclaré, dans quatre articles publiés dans la presse, que les chambres à gaz n'avaient jamais existé et qu'elles n'étaient qu'une machination politico-financière. Il avait de fait été attaqué par la LICRA[3] sur la base de l'article 1382 du Code civil. [...]
[...] - Les lois mémorielles : un danger pour le travail historique. Malgré les protestations de la communauté historienne, force est de constater que les lois mémorielles n'ont pas été abrogé et maintiennent sur le travail de l'historien une limitation de sa liberté d'expression et de sa liberté de recherche universitaire, ce qui l'empêche de défendre certaines thèses. Elles posent une interprétation officielle de l'histoire que le juge est ensuite chargé de faire respecter Ainsi, une plainte fut déposée contre l'historien Olivier Pétré- Grenouilleau sur la base de la loi Taubira, car celui-ci défendait l'idée que la traite négrière ne présentait pas les caractères d'un génocide. [...]
[...] La Cour de cassation ne juge donc pas l'histoire, mais la méthode de l'historien. - La critique de Jean Carbonnier : Le silence et la gloire Cet arrêt de la Cour de cassation, malgré l'ensemble des précautions qu'il prend quant à l'idée que le droit ne doit pas dire l'histoire, a fait l'objet d'une critique de Jean Carbonnier, dans un article intitulé le silence et la gloire, portant sur plusieurs éléments : - Le fait de juger le silence de l'historien conduit le juge à pénétrer dans le domaine de son for intérieur, au sein duquel la liberté est sacrée et qui doit, en théorie, échapper au domaine du droit. [...]
[...] De fait, il apparaît intéressant de se demander, au regard de ces interrogations, si le droit a oui ou non le pouvoir légitime d'intervenir dans la sphère historique, et si l'acceptation de cette intervention a pu évoluer. Ainsi, s'il est certain que, pour de nombreuses raisons, il serait dangereux que le droit dise l'histoire le droit est néanmoins intervenu à de nombreuses reprises dans le champ de cette dernière (II). I. Si, pour de nombreuses raisons, on considère qu'il serait dangereux que le Droit dise l'histoire A. L'histoire n'est pas un espace du droit l'histoire : un domaine hors du champ de compétence des hommes de droit. [...]
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